Bâle III, proposition de transposition de la Commission européenne : quels impacts sur les  f inancements spécialisés ?

Le 27 octobre 2021, la Commission européenne a présenté ses propositions de règlement et de directive visant à transposer les accords de Bâle III dans la réglementation européenne. L’Union européenne est ainsi la première juridiction à lancer le processus de transposition des règles internationales réformées par le Comité de Bâle en décembre 2017.

Les nouvelles règles révisent le calcul des actifs pondérés en fonction des risques (RWA – Risk Weighted Assets). Les RWA constituent l’estimation du risque qui détermine le niveau minimum de fonds propres réglementaires qu’un établissement doit conserver pour faire face à des pertes imprévues.

L’ASF, en partenariat étroit avec les associations européennes, a multiplié les contacts avec les institutions européennes et françaises pour plaider en faveur d’une adaptation des nouveaux modes de calcul des RWA issus de Bâle III au profil de risque faible des financements spécialisés, en particulier le leasing et l’affacturage.

Dans la proposition de la Commission, le leasing et l’affacturage sont explicitement mentionnés. La Commission note notamment qu’un « haut niveau d’expertise et de gestion du risque a été développé pour le leasing ». Le poids des acteurs européens du leasing et de l’affacturage dans le financement de l’économie de l’Union est ainsi reconnu.

Des perspectives encourageantes pour le leasing

L’application des nouvelles contraintes sur les modèles internes pour le calcul de la perte en cas de défaut est étalée dans le temps pour le leasing jusqu’en 2029. Entretemps, l’EBA est mandatée pour analyser les « expositions en créditbail (leasing) comme une technique de réduction du risque de crédit en approche modèle interne et la calibration appropriée des paramètres de risque applicables, en se penchant en particulier sur les estimations propres aux pertes en cas de défaut ».

C’est une ouverture essentielle vers la reconnaissance du profil de risque plus faible du leasing. Le rapport de l’EBA est attendu pour le 30 juin 2026 au plus tard et pourra conduire la Commission à recalibrer la charge prudentielle via un acte délégué.

La pondération des expositions en leasing en approche standard n’est quant à elle pas modifiée, contrairement à la demande de Leaseurope. Mais l’association européenne du leasing, appuyée par l’ASF, va s’attacher à obtenir l’extension à l’approche standard du périmètre de l’analyse confiée à l’EBA. L’objectif est que les établissements de crédit-bail qui utilisent l’approche standard pour évaluer leur risque de crédit bénéficient également de possibles ajustements qui découleraient des travaux de l’EBA.

Des avancées majeures obtenues pour l’affacturage

La principale demande d’EUF, l’association européenne d’affacturage que préside la France, et de l’ASF est prise en compte : la reconnaissance de l’assurance-crédit, largement utilisée en affacturage, comme facteur d’atténuation du risque de crédit. Un mandat est en effet confié à l’EBA pour analyser la réduction du risque apportée par l’assurance-crédit en approche standard et en approche IRB fondation.

On note également que la pondération plus contraignante proposée par le Comité de Bâle pour les engagements hors bilan révocables sans condition (passée de 0% à 10%) fait l’objet d’un moratoire jusqu’en 2029. Parallèlement, un mandat est confié à l’EBA pour mieux analyser l’impact sur les exigences en fonds propres des établissements d’un passage à une pondération de 10%.

Enfin, une classe d’exposition spécifique est créée pour les achats de créances sur les entreprises : « corporates purchased receivables ». Elle pourrait permettre de mieux cibler l’ajustement des exigences prudentielles.

En approche modèle interne, la prise en compte des spécificités de l’affacturage est notoire. Plusieurs mandats sont confiés à l’EBA pour analyser l’opportunité d’une meilleure approche du risque pour la nouvelle catégorie d’exposition correspondant aux achats de créances d’entreprises. Ils pourraient déboucher sur des ajustements plus fins des exigences en fonds propres pour l’affacturage.

Par ailleurs, certaines spécificités de l’affacturage semblent d’ores et déjà reconnues dans la proposition : plusieurs adaptations propres au « factoring » ou aux « corporate purchased receivables » sont proposées pour l’estimation des paramètres de probabilité de défaut, perte en cas de défaut et perte attendue.

Les avancées reposent pour beaucoup sur des analyses à mener par l’EBA.

Vigilance en revanche pour les cautions

A contrario, un point d’attention majeur concerne l’activité de cautionnement des crédits immobiliers. L’ASF soutient depuis 2017 l’inclusion dans la transposition européenne des accords de Bâle de l’équivalence prudentielle entre les crédits immobiliers cautionnés et les crédits hypothécaires. Cette équivalence a été obtenue dans le texte balois par les autorités françaises, au plus haut niveau. Or, deux articles de la proposition de la Commission européenne la confirment, mais avec une surtransposition par rapport au texte de Bâle : dans la proposition de la Commission le garant – l’établissement de caution - doit respecter des exigences en capital « au moins équivalentes » à CRR là où la seule comparabilité est requise dans le texte bâlois. Cet écart pourrait remettre en cause l’acquis de Bâle. L’ASF militera donc pour un retour à la rédaction exacte des accords de Bâle. Il n’y a en effet aucune raison de surtransposer.

Enfin, certains autres points significatifs de la proposition ont un impact sur les financements spécialisés.

Le « SME supporting factor », qui permet une réduction des exigences en fonds propres pour les expositions sur les PME, est maintenu tel quel dans CRR, à un meilleur niveau que celui proposé par les accords de Bâle.

L’ output floor (plancher de fonds propres exigibles contraignant les résultats des modèles internes) est bien appliqué au plus haut niveau consolidé des groupes bancaires. Mais le surplus de capital le cas échéant exigible devrait être réparti entre les entités consolidées du groupe dans chaque Etat membre, à proportion de la part des actifs du groupe qu’elles représentent. Cette solution courageuse dans le contexte politique européen mais hybride ne s’avère que partiellement satisfaisante car complexe à mettre en œuvre. Son impact sur les filiales de f inancement spécialisé devra être analysé au sein de chaque groupe.

L’entrée en vigueur au sein de l’Union est désormais proposée par la Commission européenne au 1er janvier 2025, soit un report de deux ans.

Cependant, les travaux européens sur ce texte ne font que commencer. Les Etats-membres et les parlementaires européens devront s’entendre sur une contre-proposition. Puis, la Commission, le Conseil et le Parlement européens devront s’accorder en trilogue sur le texte final.

Enfin, les conclusions de l’EBA seront essentielles pour déterminer la calibration effective des aménagements proposés par la Commission pour les financements spécialisés. Ce sont là des spécificités européennes, mal prises en compte à Bâle, et qu’il convient de préserver car elles contribuent au financement de l’économie européenne avec un faible niveau de risque.

Françoise  PALLE-GUILLABERT, Délégué général de l’ASF