Banques et ESG : vers un nouveau paradigme


1. D’une prise en compte ciblée à une intégration structurelle

Ces dernières années, l’urgence climatique et l’augmentation des inégalités ont structuré et accéléré la prise en compte et l’intégration des critères Environnementaux, Sociaux et de Gouvernance (ESG) par le monde économique. L’accord de Paris et les 17 Objectifs de Développement Durable (ODD) adoptés par l’ONU en 2015 font figure de tournant historique. Ces deux marqueurs ont permis d’exprimer clairement les priorités pour le XXIème siècle, d’une manière opérationnelle et lisible non seulement pour les Etats mais aussi pour les entreprises et les investisseurs : lutte contre le changement climatique, protection de la biodiversité, inclusion sociale, réduction des inégalités ou encore développement des territoires. Les ODD et l’accord de Paris ont fourni aux entreprises une « boussole » qui leur faisait précédemment défaut. Les réponses sont encore loin d’être à la hauteur des défis environnementaux ou sociaux qui sont devant nous. Mais on ne peut plus dire que l’économie ne s’est pas mise en mouvement.

À l’instar de beaucoup d’autres grandes entreprises dans le monde, BNP Paribas a intégré les ODD dans sa stratégie dès 2017 et dans sa raison d’être en 2019. Le développement, à partir de 2011, de politiques de crédit encadrant de plus en plus strictement le financement de secteurs sensibles comme les énergies fossiles (sortie du charbon et des hydrocarbures non conventionnels) est une traduction concrète de notre engagement. Aujourd’hui, sous l’impulsion des régulateurs, mais aussi des citoyens, des salariés et des investisseurs, cette démarche s’accélère et s’élargit à l’ensemble des acteurs économiques. Ces derniers se dotent de nouvelles méthodologies pour approfondir leur démarche ESG. Aux premiers reportings extra-financiers ciblés et « à la carte », succèdent progressivement des engagements plus ambitieux reposant sur des données de plus en plus fines et structurées. Le développement récent de stratégies globales bas carbone ou net-zero à horizon 2050 en est le principal exemple. En quelques années, le monde de l’entreprise est passé d’une vision parcellaire de l’ESG, axée principalement sur des politiques sectorielles, le calcul de l’empreinte carbone directe et quelques projets d’impact ; à une acception beaucoup plus exhaustive caractérisée par un passage à l’échelle, un calcul de l’empreinte carbone sur l’ensemble de la chaine de valeur et une attention plus marquée pour la biodiversité et les impacts sociaux. Plus récemment encore, soulignons que la crise du Covid-19 a réintroduit l’idée fondamentale d’une transition juste et de l’importance du « S » d’ESG, qui était auparavant souvent le parent pauvre du tryptique.

2. Les banques au cœur de la transition ESG

Le climat concentre logiquement une grande part des efforts. Plus de 100 banques dans le monde ont rejoint la Net-Zero Banking Alliance de l’UNEP-FI créée au printemps 2021. Elles se sont engagées à aligner les émissions de gaz à effet de serre induites par leurs activités de crédit ainsi que d’investissement direct avec la trajectoire requise pour atteindre la neutralité carbone en 2050. Si la plupart des acteurs de taille mondiale, notamment européens, ont rejoint l’alliance, la France et l’Espagne sont les seuls pays dont quasiment toutes les banques sont signataires. Parallèlement, de nombreux acteurs de gestion d’actifs et d’assurance ont adhéré à la Net Zero Asset Managers Initiative et la Net Zero Asset Owner Alliance. Ces différentes coalitions offrent un cadre structurant et lisible qui va s’imposer à tous. Pour autant, si le secteur financier peut choisir d’orienter ses flux vers les acteurs engagés à décarboner leur activité, s’il peut se fixer des objectifs d’alignement de ses portefeuilles avec les objectifs de l’accord de Paris, s’il peut conditionner, réduire ou exclure ses financements aux secteurs les plus émetteurs de CO2, il ne peut être le seul acteur de la transition ni se substituer aux États, aux entreprises et aux citoyens.

Les enjeux climatiques conduisent au développement d’une véritable économie de la transition chez nos clients. Être au rendez-vous pour l’accompagner est une priorité pour BNP Paribas : technologies vertes, énergies renouvelables, efficacité énergétique des entreprises et des particuliers, économie circulaire, etc. Notre Groupe s’est donné pour mission de soutenir ses clients dans leurs efforts, en créant notamment le Low Carbon Transition Group, qui rassemble 250 banquiers spécialisés dans l’accompagnement de la Transition écologique des clients.

En tant que banque, nous faisons face à une exigence très forte car le monde qui nous entoure n’attend pas que nous nous contentions de petits pas écologiques, mais que nous fassions réellement levier sur l’empreinte laissée par l’économie sur l’environnement et la société. Un objectif que nous ne pourrons atteindre qu’en introduisant les critères ESG à tous les étages de notre organisation. Ceci suppose une évolution de notre gouvernance, de nos compétences, de nos processus, de nos critères de décision et de nos outils de pilotage. C’est un chantier de transformation majeur. Il est essentiel de le mener à la fois rapidement et en profondeur pour que la finance durable échappe à la suspicion de « greenwashing ».

Notre transformation a permis à BNP Paribas d’être distingué en 2021 comme « Meilleure banque au monde pour la finance durable » et « Meilleure banque au monde pour les données et les technologies ESG » selon Euromoney. C’est un encouragement fort au regard du chemin d’ores et déjà parcouru… et de celui, encore plus important, qui reste à parcourir. Aujourd’hui, notre plan stratégique 2022/2025 nous donne l’occasion d’aller encore plus loin dans notre contribution à une économie plus durable et plus juste, en créant les conditions d’un « passage à l’échelle » de la prise en compte des critères ESG dans tous nos métiers et toutes nos géographies. Nos priorités, toujours en phase avec les ODD de l’ONU, sont bien sûr le climat, mais aussi la biodiversité, l’économie circulaire, l’inclusion sociale et la manière dont nos clients peuvent rendre leurs placements plus durables. Pour la première fois, ces engagements sont exprimés sous la forme d’objectifs de développement ambitieux : à l’horizon 2025 mobiliser au moins 350 milliards d’euros au travers de nos activités de crédits et d’émissions obligataires durables, liées aux sujets environnementaux et sociaux, ou encore atteindre 300 milliards d’euros d’actifs gérés pour le compte de nos clients et correspondant aux définitions des articles 8 et 9 de la nouvelle réglementation européenne sur la finance durable.

Le mouvement que nous vivons à l’échelle de notre entreprise s’accélère, nous le savons, partout autour de nous. Cependant, s’il faut saluer les avancées réalisées individuellement depuis 2015 par les différents acteurs économiques, la définition de standards et de langages communs reste essentielle pour rendre la transition possible à grande échelle, donner aux initiatives individuelles l’efficacité et une cohérence collectives indispensables et favoriser le développement d’une nouvelle concurrence loyale sur les sujets ESG.

3. La nécessité d’un langage commun simple et performant pour accélérer la transition

Le développement des critères ESG conduit aujourd’hui à une grande hétérogénéité des informations produites. Or, en l’absence de définitions précises et partagées, il est difficile de pouvoir comparer finement les performances et les engagements des entreprises, et la manière dont les acteurs financiers les prennent en compte dans leurs décisions. Il manque donc un langage commun et approuvé par tous pour rationaliser la quantité de données et normaliser ce qui est ESG-compatible et ce qui ne l’est pas.

Pour se doter de ce langage commun, les pouvoirs publics ont la mission de fixer les grandes orientations et ils doivent établir les règles tout en laissant ensuite les acteurs du secteur privé proposer les solutions opérationnelles adaptées. Dans l’établissement des critères ESG et de leur mesure, l’Union Européenne a toute sa place et a même le potentiel pour prendre le leadership international. L’Europe est en effet à l’avant-garde de la lutte contre le réchauffement climatique depuis longtemps et porte en elle un attachement fondamental à la justice sociale. La « double matérialité », consistant à analyser l’impact des entreprises sur l’environnement autant que l’impact de l’environnement sur les entreprises, est aussi au cœur de la réflexion européenne. L’enjeu n’est plus aujourd’hui de se contenter de savoir si les entreprises ont un impact – négatif ou positif – sur le climat, la biodiversité ou les droits de l’Homme, mais de faire des analyses précises permettant de comprendre et de comparer leur profil extra-financier comme c’est le cas avec leur business model ou leur performance économique.

D’un point de vue politique, la façon dont l’UE se saisit aujourd’hui de l’ESG est donc cruciale. L’établissement de ce nouveau champ réglementaire donne l’opportunité de réformer le capitalisme, en construisant un système plus responsable. Ces dernières années, en lançant le Green Deal, l’UE s’est dotée d’un outil allant dans ce sens, avec un budget d’investissement conséquent. En parallèle, grâce à la taxonomie européenne, un langage commun est en train de prendre vie. Grâce à la réglementation SFDR (Sustainable Finance Disclosure Regulation) les individus devraient disposer d’un cadre uniforme et lisible pour comparer le caractère « durable » de leur investissement. Enfin, à l’échelle internationale, c’est l’ISSB (Insternational Sustainability Standards Board) qui a le rôle d’adapter ce langage commun.

Pour être efficace, tous ces outils doivent être pensés avec suffisamment de sens pratique et de manière à accompagner véritablement les transitions. Le défi est donc d’introduire ces éléments sans lourdeur administrative dans le fonctionnement des acteurs financiers et dans leur relation avec les clients. Le régulateur doit trouver le juste équilibre entre ambition ESG et simplicité opérationnelle, en donnant aux acteurs de l’économie les clés d’un pilotage sérieux mais serein de la transition. C’est notamment un enjeu pour les PME qui représentent l’essentiel des entreprises européennes et qui ne disposent pas des mêmes capacités administratives que les grandes entreprises. Ce modus operandi est crucial car rien ne se fera sans la mobilisation des entreprises et sans l’appropriation de ce langage commun.

Ces outils doivent également être pensés avec discipline et en bon ordre : avec discipline entre les nombreux acteurs qui veulent aujourd’hui marquer leur présence au sein de ce nouvel univers normatif (institutions européennes, gouvernements, EBA, Banque Centrale Européenne, régulateurs et superviseurs nationaux…), en bon ordre pour permettre une mise en œuvre sereine des nouvelles obligations (exemple du séquencement logique actuellement mis à mal entre les réglementations MIFID, SFDR, CSRD…).

À l’heure où existe un consensus sur la nécessité d’agir, l’impulsion du régulateur est importante pour intégrer de la transparence. Mais les critères ESG doivent avant tout être conçus comme des critères de succès et de décision pour les entreprises financières et leurs clients. Aujourd’hui, les caractéristiques ESG d’un produit financier s’imposent comme des critères de choix au même titre que des critères plus classiques comme le rendement, la liquidité ou le risque. Cela deviendra un véritable enjeu de concurrence. A l’avenir, la qualité de l’information sur les critères ESG deviendra aussi importante que les données comptables traditionnelles. Cette transparence est essentielle à la fois pour la confiance des clients dans leur contrat avec leur banque ou leur gestionnaire d’actifs, mais aussi pour délivrer effectivement du progrès écologique et social. L’ESG n’a pas vocation à être une nouvelle figure de style bancaire mais bien au contraire de permettre aux acteurs financiers d’orienter les flux d’une manière qui concilie les intérêts des clients avec ceux de la planète et de la société. Cette transformation est fondamentale pour construire une banque que nous serons capables d’expliquer à nos enfants.

Laurent DAVID, Directeur Général Adjoint, Chief Operating Officer Groupe BNP Paribas

Antoine SIREDirecteur de l’Engagement Groupe BNP Paribas