Crise sanitaire : quel impact sur la situation des entreprises et quels défis à relever ?

L’épisode de crise sanitaire que nous venons de traverser a représenté un choc inédit pour notre économie et nos entreprises. A l’heure où les économies européennes ont, on l’espère, réouvert définitivement, et enregistrent un rattrapage qu’il y a encore un an peu envisageaient aussi rapide, quel état des lieux peut-on dresser de la situation des PME et ETI françaises et quelles perspectives peuton dresser pour le futur ?

Si on devait le résumer en un mot, le constat de la situation des PME et ETI françaises après dix-huit mois de crise sanitaire est celui d’une grande résilience. Les chiffres de plus en plus complets parus jusqu’à aujourd’hui l’attestent. Si l’on prend les résultats des enquêtes de conjoncture que l’on mène chez Bpifrance auprès de la population des TPE-PME et des ETI, que voit-on ? Côté trésorerie, la perception des TPE/PME n’a jamais été aussi bonne, même avant la crise sanitaire. La part des PME/TPE et ETI déclarant des difficultés insurmontables de trésorerie n’a jamais dépassé 5% depuis juin 2020. Côté investissement, les projets se sont naturellement ajustés à la baisse l’année dernière, afin de préserver l’équilibre financier, mais se sont très vite relancés. Là aussi, les indicateurs de l’investissement ont rattrapé leur niveau d’avant crise, voire dépassé ce niveau depuis le début de l’année selon l’INSEE.

Rappelons que pour la crise précédente de 2008-2009, il avait fallu 8 ans pour récupérer le niveau d’investissement d’avant crise. Pour celle-ci : 18 mois ont suffi ! Côté structure financière, toujours dans nos enquêtes, les TPE-PME qui se sentent fortement contraintes par le niveau de leurs fonds propres reste autour de 15%, une proportion similaire, voire légèrement inférieure à l’avant crise. La hausse de l’endettement brute des entreprises a certes atteint le montant important de 225 Milliards d’euros, -prouvant au passage le soutien important apporté à l’économie par le système bancaire via les PGE pour 130 Milliards mais aussi par des crédits classiques pour près de 100 Milliards-. Mais cette hausse de l’endettement brut a été compensée par une hausse parallèle des dépôts disponibles en banque de 215 Milliards, ramenant la hausse de l’endettement net des entreprises à 10 Milliards seulement. La Banque de France qui vient d’examiner 186 000 bilans de PME pour l’année 2020 indique que la dynamique d’accumulation des fonds propres, très soutenue depuis 10 ans, n’aurait que ralenti, mais qu’elle ne se serait pas inversée. Et on pourrait ainsi continuer à égrener le reste des statistiques positives comme la baisse drastique des défaillances constatée depuis le début de la crise sanitaire. Cette baisse, qui se prolonge en 2021 illustre la très grande résilience de notre système productif, très loin de ce qu’on a connu lors de la dernière crise financière dont l’empreinte avait été beaucoup plus durable. Ce tableau n’est d’ailleurs pas une spécificité française et se retrouve dans l’essentiel des économies développées, en Europe et en Amérique du Nord.

Ces bons résultats ne sont pas arrivés tout seuls. Ils sont en partie liés à une situation financière qui s’était considérablement améliorée sur les 10 dernières années, notamment pour les PME et TPE qui ont vu leur taux d’endettement constamment baisser. Ils sont ensuite le fruit de la très forte mobilisation de l’écosystème, des pouvoirs publics, Etat et banquiers centraux, aux dirigeants eux-mêmes en passant par les intermédiaires financiers pour trouver les réponses rapides et évolutives au contexte sanitaire qui a bouleversé le fonctionnement de nos économies. Près de 700 000 PGE ont été déployés dont une très grande partie dès les premières semaines de la crise. Des transferts massifs ont été organisés pour compenser l’arrêt partiel ou total, parfois prolongé, de certains secteurs d’activité. Avec comme conséquences le maintien des relations de travail et la limitation à court terme de la destruction de capital humain et physique qui font qu’habituellement il est difficile de rebondir rapidement après une crise. Bpifrance a joué, avec l’appui de ses actionnaires, son rôle aux côtés de ses partenaires banques et fonds d’investissement pour apporter les solutions de financement adaptées à cette situation. Dans un premier temps pour parer aux besoins les plus pressants d’accès à la liquidité et soutenir le moral des entrepreneurs avec plus de 100 000 appels téléphoniques passés en 3 semaines, puis dans un deuxième temps pour soutenir la relance de l’investissement et de l’innovation.

La France a ainsi réussi à maintenir la dynamique entrepreneuriale dont on sentait déjà le souffle de plus en plus puissant avant le départ de cette crise sanitaire. Un exemple peut être donné à travers l’écosystème de l’innovation et des startups. Non seulement les fonds levés par les start-ups françaises ont réussi à progresser en 2020 (5,4Md€) par rapport à 2019 (5,0Md€), soit 5 fois plus qu’en 2013, mais les levées sur le premier semestre 2021 (5,1Md€) sont déjà quasi à la hauteur du montant total de l’année dernière. Et la dynamique de levées ne faiblit pas en septembre avec 3 méga levées tombées le même jour (Mirakl, Sorare, Vestiaire Collective) pour 1,2 Md€ donnant un aperçu de l’effervescence sur ce marché, et portant le nombre des fameuses « licornes » françaises à 21. De façon plus large, la création d’entreprises a continué de progresser en 2020 et même en faisant abstraction de la dynamique des entreprises individuelles et autoentrepreneurs, les sociétés nouvellement crées ont bondi de 35% sur les 6 premiers mois de l’année 2021.

Si le rebond de la dynamique entrepreneuriale a été plus fort qu’initialement anticipé, quels sont les défis que vont devoir affronter les entreprises ces prochains trimestres et ces prochaines années ?

Bien sûr la question de l’impact de la crise sur les bilans, qui ont été sollicités pour amortir et lisser dans le temps le choc de 2020, est à prendre en considération. Nous considérons cependant que la hausse du risque entreprise est loin d’être généralisée, même si on doit sans doute s’attendre à un rattrapage progressif des défaillances d’entreprises dans les prochains trimestres. Le recours au PGE a été massif. Celui-ci a néanmoins davantage joué un rôle d’assurance que de comblement effectif des pertes. Début septembre, nos enquêtes indiquaient toujours qu’une large majorité de TPEPME emprunteuses (60%) n’avaient utilisé qu’une minorité du montant emprunté. 5% craignent de ne pas pouvoir le rembourser, une proportion stable depuis le début de l’année, et finalement assez cohérente avec les travaux de la Banque de France estimant que 6 à 7% des entreprises seraient particulièrement fragilisées au sortir de cet épisode de crise sanitaire.

Les aléas conjoncturels restent par ailleurs encore assez forts notamment dans certains secteurs. Si pour la moitié des entreprises, le retour au niveau d’activité d’avant crise est quasiment déjà atteint, certaines filières restent encore fortement désorganisées. Des perturbations liées à un environnement international toujours volatile et un risque sanitaire élevé sont toujours présents à l’échelle du globe entrainant la poursuite des limitations des déplacements internationaux et la perturbation des chaines logistiques et d’approvisionnement. Dans ce contexte, la reprise de nos économies dopées aux plans de soutien et de relance peut entrainer des frictions telles que des phénomènes de hausse des coûts, d’allongement des délais d’approvisionnement jusqu’à leur rupture.

Mais peut-être le défi le plus important qui attend les entreprises pour les prochaines années et la prochaine décennie sera de faire face d’une part à l’accélération des ruptures technologiques, et d’autre part à l’adaptation aux enjeux de la transition climatique. C’est donc le moment d’accélérer l’effort de modernisation, de digitalisation et d’adaptation à des modes productifs décarbonés. Il en va de la nécessité économique et écologique, à l’heure où l’ensemble de nos partenaires vont accélérer de concert sur ces mêmes objectifs. A un horizon maintenant très rapproché, sous la pression des régulateurs, ou de la taxonomie que la Commission européenne est en train de définir, le système bancaire et les investisseurs publics et privés ne pourront plus financer ni re-financer leurs contreparties carbonées. La chute pourrait être brutale pour les entreprises qui n’auraient pas anticipé ce changement de paradigme. De là découle les trois axes majeurs du travail de Bpifrance pour les prochaines années : la rénovation de l’industrie française après le plan France 2030, la décarbonation de l’économie dans le respect de la trajectoire bas carbone avec le plan Climat de Bpifrance et le plan de relance de l’Etat et enfin le changement d’échelle du financement de l’innovation.

Pour faire face à tous ces défis, toute la boite à outils de Bpifrance sera mobilisée : garantie, crédit, aides à la création, à l’innovation et à l’exportation, accompagnement, investissement direct et indirect, assurance-crédit en mobilisant l’ensemble de l’écosystème du financement des entreprises avec nous, banques et fonds de private equity français.

Une France décarbonée de 2030 peut voir le jour sous nos yeux.

Nicolas DUFOURCQ, Directeur Général de Bpifrance