DeFi, CeFi vs TradFi

Dans 10 ans, l’industrie de la gestion d’actifs aura changé de paysage avec l’utilisation des actifs numériques. L’ampleur de ce changement dépendra des règlementations mises en place, de l’efficience des technologies blockchains qui engendrent les actifs numériques et de la gestion du risque cyber.


Pour rappel, une blockchain est un grand registre digital décentralisé, tenu à jour en permanence et considéré comme inviolable. Les principales blockchains, que sont Bitcoin et Ethereum, fonctionnent avec des crypto actifs qu’elles génèrent en rémunération de la validation des transactions, le Bitcoin et l’Ether. Initialement, créé comme instruments de validation dans un monde digital, les crypto actifs se sont vite développés dans l’économie réelle au travers de services permettant leur achat/ vente contre des monnaies légales, leur utilisation comme instrument d’échange ou comme instrument de financement.

Les blockchains que sont Bitcoin et Ethereum sont appelées également « permissionless » en anglais ou non permissionnée ou publiques car elles sont ouvertes à tous sans restriction et totalement décentralisée.

Se multiplient les blockchains permissionnées, « permissioned » en anglais, ou privées, accessibles à des intervenants connus et acceptés par les autres membres de celles-ci.

Les avantages de l’utilisation des blockchains sont sécurité, immuabilité, transparence, automatisation grâce à l’utilisation des smart contracts, traçabilité, immédiateté des transactions et réduction des coûts.

Ethereum est le protocole le plus connu dédié à la programmation de smart contracts, qui sont des programmes informatiques irrévocables exécutant un ensemble d’instructions pré-définies. Ces smart contrats sont déterminants dans le développement de la finance décentralisée.

Il existe plusieurs types de jetons ou tokens avec des caractéristiques et des usages différents : les security tokens assimilés à des instruments financiers comme les actions, obligations ou parts d’OPC, les asset-referenced tokens (ART) représentant des actifs physiques comme de l’immobilier, des utility tokens qui sont des jetons d’usage, des stablecoins dont la valeur est stable en référence à la devise qu’ils représentent et des crypto monnaies comme le Bitcoin ou l’Ether.

A partir de mars 2023, au niveau européen, les crypto actifs seront encadrés avec le régime pilote pour ceux qui seront des security tokens et en 2024 avec MICA (Markets in Crypto Assets) pour les autres.

Le régime pilote créé un régime d’exemptions à certaines obligations réglementaires afin que les acteurs d’infrastructures de marchés financiers et les conservateurs  / dépositaires puissent adapter leurs structures pour traiter des security tokens en marchés primaire, secondaire et post marché. En 2028, si les projets menés sont concluants, les règlementations actuelles auront été adaptées à l’utilisation de ces crypto actifs. Ainsi dans 10 ans, acteurs traditionnels et nouveaux entrants auront contribué à rendre la chaine de valeur de l’industrie de la gestion d’actifs plus simple avec réduction des délais et des coûts tout en apportant de la liquidité.

Avec la mise en application de MICA, les SGP auront développé des activités de conseil et de gestion pour des clients particuliers et professionnels sur des actifs numériques, autres que des security tokens.

Ainsi dans 10 ans, et sous réserve d’une efficience accrue des protocoles blockchain et des smart contracts et de la maitrise du risque cyber, l’investissement en actifs numériques représentera un part non négligeable de l’investissement total des particuliers et des professionnels. Les règles pour l’intégrité du marché et la protection des consommateurs auront été implémentées, tout en garantissant la stabilité financière.

La tokenization des actifs traditionnels va représenter une nouvelle source de financement de l’économie. Ces actifs pourront être de l’immobilier, des parts de sociétés, de la dette corporate ou des parts de fonds… Cette tokénisation permet de découper les actifs en parts plus petites que celles généralement observées dans les actions et les obligations. Les investisseurs pourront ainsi avoir accès à de nouvelles opportunités de diversification de portefeuilles.

Une interconnexion entre la finance traditionnelle et la finance numérique va se développer qui pourrait créer de nouveaux risques sur le système financier traditionnel et sur l’économie réelle1.

Cette finance numérique porte aussi le nom de finance décentralisée (DeFi) et s’apparente à un système financier alternatif fondé sur les technologies blockchains et sur des stablecoins. Elle se distingue du système financier traditionnel car nativement numérique, fonctionnant sur des infrastructures décentralisées, ouvert à tous, y compris aux populations exclues du système financier traditionnel.

L’essor de la finance décentralisée (DeFi) est lié au développement des smart contracts du protocole blockchain Ethereum. Par exemple, un smart contract appliqué à l’activité de trading peut autoriser deux investisseurs à échanger des crypto actifs selon les termes d’un accord préétabli pour la transaction. L’opération se fait en gré à gré et sans intermédiaire. Les stablecoins sont utilisés pour les transferts de fonds entre monnaie fiat et jetons sur la DeFi. Les activités de prêt, emprunt, trading, stratégies d’investissement sont courantes en DeFi.


Le tableau ci-dessus, élaboré par la Banque des règlements internationaux, illustre les activités de services d’investissement en finance traditionnelle (TradFi), finance décentralisée (DeFi) et finance centralisée (CeFi). La différence entre les 2 dernières est le type de blockchain utilisée. La DeFi est fondée sur des blockchains non permissionnées, majoritairement Ethereum. La CeFi est fondée sur des blockchains permissionnées.

Les noms en parenthèse sur le tableau correspondent aux acteurs principaux de l’activité. En juillet 2022, suite au crash sur les crypto actifs, Celsius a fait faillite.

La finance décentralisée représente une modernisation majeure des services financiers et est créatrice d’opportunités pour l’industrie de la gestion d’actifs. Dans 10 ans, la part que la finance décentralisée prendra dans le paysage dépendra de la règlementation qui aura été créée en apportant les règles de protection de l’investisseur, d’intégrité de marché, de lutte anti-blanchiment comme elles existent dans la finance traditionnelle.  C’est tout l’enjeu des régulateurs et des acteurs dans les prochaines années.

Les stablecoins constituent l’une des bases fondamentales des marchés DeFi, mais sont en même temps l’un des plus grands points de vulnérabilité. Les stablecoins sont associés à des risques importants liés à la forte concentration en termes d’émetteurs (les deux principaux stablecoins représentaient 70% du marché en février 2022), aux faiblesses autour de la transparence des réserves, au manque de clarté concernant les droits de remboursement des détenteurs ainsi qu’aux risques opérationnels (par exemple, le risque cyber)2. La mise en place d’une monnaie numérique de banque centrale (MNBC) réduira ce risque. L’existence d’une telle monnaie permettrait de remplacer les stablecoins utilisés pour le cash management et apporterait de la confiance aux transactions en DeFi et CeFi. En juillet 2022, la Banque de France a annoncé le lancement d’une deuxième phase d’expérimentation en MNBC avec pour objectif son utilisation comme actif de règlement en 2023 et qui serait applicable au régime pilote3.

Une future intégration de la finance décentralisée dans le système financier actuel pourrait avoir un impact bénéfique sur les marchés financiers traditionnels, en termes d’efficacité, de concurrence, de baisse des coûts, de réduction des délais de règlement… La mise en place du régime pilote est la première étape de cette intégration. Et l’ampleur de la pénétration de la DeFi dépendra notamment de la capacité à réduire le risque cyber. Enfin, l’interopérabilité avec les infrastructures des marchés financiers traditionnels sera aussi un élément décisif de l’importance de l’intégration de la DeFi.



Muriel FAURE
Senior Advisor Tiepolo, Présidente de la Commission Innovations Technologiques de l'Association Française de la Gestion financière (AFG)


1/ https://www.oecd-ilibrary.org/docserver/5d9dddbe-en.

2/ https://www.oecd-ilibrary.org/docserver/5d9dddbe-en. pdf?expires= 1658082754&id= id&accname=guest&checksum= 0877215962 F670473A3 CF9A758E5032B

3/ https://www. banque-france.fr/sites/default/files/medias/documents/2022.07.12_ discours_europlace_fr_ vf.pdf