Fiscalité et Présidence française de l’UE : quelle feuille de route ?

Depuis le 1er janvier dernier, la France assure la Présidence tournante du Conseil de l’UE pour une période de six mois pour la 13e fois depuis la création de l’institution.

En pratique, cette fonction consiste à présider les réunions du Conseil et à assurer ainsi la continuité des travaux en cours. Depuis le traité de Lisbonne, la faible durée de ce mandat est compensée par une implication renforcée pendant la Présidence de deux autres Etats membres. Ce « trio » définit un programme commun qui sera traité par le Conseil durant la période de 18 mois couvrant leur Présidence. La France, la République Tchèque et la Suède forment le trio actuel.

La France a précisé les orientations et le calendrier de l’action du Conseil déterminés avec ses partenaires.

En matière fiscale, la couverture des besoins locaux et l’évolution des structures publiques demeurent des prérogatives nationales et la fiscalité reste le dernier sujet soumis à la règle de l’unanimité au niveau communautaire. Pourtant, sans renoncer à leur souveraineté, les Etats membres parviennent à s’accorder pour harmoniser progressivement la détermination des bases taxables et poser des garde-fous pour éviter la concurrence fiscale dommageable et lutter contre l’évasion fiscale.

Prenant en compte ces éléments, la Présidence française a choisi de focaliser son action autour de deux principaux sujets :

  • la mise en œuvre au niveau de l’UE de l’accord « Globe » du G20 sur l’imposition des multinationales et des géants du numérique ; et
  • la création d’une « taxe carbone » aux frontières de l’Europe pour compenser l’effort demandé aux entreprises européennes pour décarboner l’industrie.

L’accord « Globe » vise à instaurer un niveau minimum d’imposition (15%) des grands groupes internationaux (recettes > 750 M€) dans chacun des Etats où ils opèrent. Dans la mesure où il a été signé au niveau de l’OCDE par la totalité des Etats membres de l’UE, sa transposition rapide par voie de directive ne fait pas de doute.

Concernant la taxe carbone, un premier projet a été présenté en juillet dernier à Bruxelles. Ce « mécanisme d’ajustement carbone aux frontières » déterminera un prix du carbone pour les importations de certains produits. Il entrera en vigueur à compter de 2026 et visera dans un premier temps les engrais, l’acier, l’aluminium,l’électricité et le ciment. Au-delà des effets potentiels, difficilement mesurables, sur le réchauffement climatique, ce dispositif devrait surtout entrainer la redirection des flux commerciaux vers des pays où la production est moins polluante, avec des impacts majeurs pour des pays tels que la Russie, la Chine, la Turquie, l’Inde et le Brésil. Aussi, la taxe carbone est vue par ces derniers comme une mesure protectionniste. Elle constituerait pourtant un moyen efficace de compenser l’effort d’investissement demandé aux industriels pour développer leurs activités sur le territoire de l’UE, où les normes sont plus strictes.

L’élection présidentielle et les élections législatives auront lieu au cours du mandat de la France. Par ailleurs, le Brexit, le COVID et la crise ukrainienne ont mis l’Europe sous tension et l’agenda de la Présidence française, qui souhaite aussi faire adopter le principe d’un salaire minimum au niveau communautaire, est déjà bien chargé. Aussi, son action pourrait se limiter à prolonger l’impulsion donnée par la Présidence slovène afin de permettre au projet de taxe carbone de murir, ce qui parait, fort opportunément, conciliable avec l’agenda électoral français...

Jean VINCENSINI, Avocat