Interview croisée - Les sociétés de gestion entrepreneuriales

Propos recueillis par Dominique Pignot


Eric Pinon, vous avez évolué essentiellement dans le monde des Sociétés de Gestion Entrepreneuriales. Vous êtes aujourd’hui Conseiller de La Financière de l’Echiquier et vous présidez l’AFG qui représente l’ensemble des Sociétés de Gestion de Portefeuille (SGP). Antoine Valdès, vous êtes également un « entrepreneur » : après avoir créé Alto Invest, vous êtes associé de Eiffel Investmentgroup et vous présidez le Club des Entrepreneurs de l’AFG. Vous êtes tous deux les mieux placés pour nous parler des « French Boutiques » qui sont reconnues tant en France qu’à l’international

1. La Société de Gestion Entrepreneuriale (SGE) est une spécificité française. Alors que les Société de Gestion de Portefeuille (SGP) se lancent dans la course à la taille, les SGE restent importantes en France. Pourquoi ?

Eric Pinon : La raison essentielle tient à l’histoire. En 1989, le statut de Société de Gestion de Portefeuille (SGP) est créé autour de petites structures, essentiellement d’anciens remisiers ou agents de change, dont la caractéristique est alors d’avoir une clientèle. En 1996 La Loi de modernisation des activités financières reconnaît la gestion comme un métier à part entière et exige la filialisation de la gestion d’actif par les banques et les compagnies d’assurances  : ces nouvelles sociétés fabriquent des produits de gestion. L’enjeu devient donc de faire cohabiter ces deux mondes : celui des « producteurs » et celui des Sociétés de Gestion de Portefeuille avec une clientèle propre.

Antoine Valdès : Aux raisons historiques s’ajoutent des raisons organisationnelles. Une quarantaine de sociétés de gestion se créent chaque année, quelle que soit le contexte (croissance ou crise). Cela s’explique par la diversité d’expertises de ces jeunes sociétés qui complètent et enrichissent l’univers de la gestion, avec pour certaines des modèles qui s’apparentent aux CIF (conseillers en investissements financiers), et pour d’autres des organisations plus fortement structurées : certaines sociétés de gestion démarrent à deux personnes, alors que d’autres ont un soutien institutionnel plus important.

2. Qu’en est-il du cadre réglementaire ? Est-ce qu’il favorise la création de sociétés de gestion indépendantes ?

EP : La France bénéficie d’un cadre règlementaire favorable. Il est plus facile de créer une société de gestion en France qu’ailleurs. L’AMF est plus souple et plus proche des sociétés de gestion que ne le sont les régulateurs de nos voisins européens. En France il semble impensable d’aller à l’encontre de la création d’entreprises. Pour autant la difficulté réside dans la capacité à se maintenir dans la profession, non seulement du fait de la réglementation, qui jalonne la vie des sociétés de gestion, mais aussi en raison de l’accès aux capitaux qui est de plus en plus difficile. Les sociétés de gestion et les SGE en particulier connaissent aujourd’hui une pression réglementaire et concurrentielle très forte et une hausse continue des charges liées aux coûts d’adaptation règlementaire (MIF2, PRIIPS, SOLVA2, GDPR…), ainsi qu’aux investissements technologiques et aux développement commercial.

AV : Oui en effet, le cadre réglementaire français facilite la création, l’AMF est très accessible, ce qui n’est pas le cas dans d’autres pays européens et permet d’éviter certains frais d’avocats. L’AMF et l’AFG jouent un rôle important pour accompagner les nouveaux venus. Le niveau de capital exigé pour créer une société de gestion n’est pas très élevé. Mais comme le dit Eric, si créer une société de gestion en France est relativement simple, le défi consiste à rester dans le métier et la course à la taille fait partie du combat. Devenir compétitif signifie d’abord atteindre une taille certaine, voire s’associer à des groupes avec des réseaux de distribution. Il ne faut pas oublier que cette facilité s’applique également aux étrangers qui peuvent créer des SGE dans les mêmes conditions, ce qui attise encore la concurrence.

3. Dans quelles activités les Sociétés de Gestion Entrepreneuriales (SGE) se développent-elles le plus ?

EP : On assiste aujourd’hui à une crise de l’offre : l’abondance de cette offre impose la création de produits différenciants, mais cela ne suffit pas non plus. Les SGE doivent offrir des solutions d’épargne bien au-delà des seuls produits et faire preuve de créativité pour personnaliser l’accompagnement de leurs clients. Aujourd’hui beaucoup de créations ont lieu dans les domaines du non-côté, des taux bas ou de l’immobilier, alors qu’il y a encore quelque temps c’était dans les domaines de la gestion quantitative ou de la performance absolue… Il y a des phénomènes de mode.

AV : Les SGE sont ainsi des moteurs d’innovation. Ce que l’on oublie souvent c’est qu’elles sont aussi très présentes dans le développement et la commercialisation à l’international. Les « French boutique » intéressent le monde entier. Elles ont été les leaders de la présence de la gestion française hors de l’hexagone, aujourd’hui très importante. Les SGE saisissent très vite les opportunités. Leur souplesse leur permet une capacité d’action et de réaction très rapide. Les SGE sont très proches des PME et ETI, elles ont notamment participé activement à la création du Label Relance conçu par le Gouvernement en octobre 2020 destiné en priorité aux PME et ETI françaises.

Quelles sont les relations des Sociétés de Gestion Entrepreneuriales (SGE) avec les grosses sociétés de gestion ?

EP : Les gros acteurs n’ont pas vocation à dompter les petites ou moyennes sociétés. Aujourd’hui les sociétés de gestion entrepreneuriales ne craignent pas de se rapprocher d’une société de gestion de plus grande taille, au contraire, ensemble elles misent sur la complémentarité et la conjugaison de leurs gammes

AV : Les SGE ont également intérêt à interagir, dialoguer et se rapprocher. Dans les grands appels d’offre par exemple elles peuvent travailler ensemble et se compléter. En cela, l’AFG leur est très utile car elle leur permet de se connaître, elle favorise la discussion et les échanges.

4. C’est une bonne transition pour les questions suivantes qui concerne le rôle de l’AFG à l’égard des SGE. N’est-il pas difficile pour une association professionnelle d’avoir des membres aussi différents ? Comment éviter la formation d’un état dans l’état ?

EP : En termes de gouvernance, les SGE représentent un gros tiers du pouvoir à l’AFG avec 10 entrepreneuriaux sur les 27 membres que compte le Conseil d’administration, soit 37%. Le Comité stratégique est composé de 16 membres dont 3 représentants de SGE. Enfin, les commissions « Titrisation et Fonds de prêts », « Innovations technologiques  », et « Réglementation européenne et internationale » sont présidées par des représentants de SGE. Par ailleurs, les sociétés de gestion entrepreneuriales représentent 10% des actifs et 25% des gestions actives. Ces chiffres sont à retrouver dans l’article de Thomas Valli, Directeurs des Etudes économiques de l’AFG.

Bien sûr, certains sujets sont traités différemment selon qu’il s’agisse du point de vue de sociétés de petite ou de grande taille, on peut citer les sujets de proportionnalité ou de frais de gestion notamment. L’AFG s’efforce d’apporter des solutions adaptées : elle prépare actuellement avec KPMG une étude pour éclairer et expliquer, au régulateur en particulier, les différences sur les frais.

5. Antoine Valdes vous présidez le Club des Entrepreneurs : pouvezvous nous en dire plus ?

AV : Être entrepreneur, c’est aimer les défis, créer, faire vivre une idée. Mais être entrepreneur, c’est aussi très souvent faire face à des difficultés, et face à ces dernières il est toujours bon d’échanger, de débattre et même de se conseiller mutuellement. La force des entrepreneurs, c’est l’addition de leurs expériences, et la principale vocation du Club Entrepreneurs est de favoriser les échanges. Nous avons mis en place plusieurs structures de rencontres et d’échanges : le Club des Entrepreneurs, au cours duquel interviennent un acteur de l’écosystème sur un thème particulier, un jeune entrepreneur qui livre le témoignage de son activité et un débat sur l’actualité réglementaire clôture les réunions trimestrielles du Club. Nous organisons également des rencontres trimestrielles sous la forme de déjeuners avec un petit nombre d’entrepreneurs membres de l’AFG, qui permettent de présenter nos travaux et d’instaurer des échanges fructueux. Nous y invitons plus particulièrement les entrepreneurs implantés en dehors de la région parisienne. Enfin nous organisons chaque année le Forum des Entrepreneurs qui est dédié au partage d’expériences, à la mise en commun de moyens, voire aux rapprochements.​​​​​​​

EP : L’AFG organise également un grand nombre de réunions d’informations pour tous les adhérents, souvent très précieuses pour les Sociétés de Gestion Entrepreneuriales : les « Point Sur » les communiqués de presse, les études et statistiques etc. sont autant d’informations diffusées au fil de l’eau qui permettent à toutes et tous d’être informés des nombreuses évolutions que connaît la profession.

Éric PINON, Président de l’AFG

Antoine VALDÈS, Président du Club des entrepreneurs