L’évaluation post covid : quoi de neuf ?

Introduction

La pandémie de bronchite virale dite « Covid – 19 » a plongé la planète dans une crise sans précédent en 2020 et 2021. Pour éviter un cataclysme sanitaire aux conséquences humaines désastreuses, les autorités sanitaires et gouvernementales ont décidé des confinements très stricts pour arrêter la propagation de l’épidémie. Elles ont eu pour conséquence un arrêt volontaire de l’activité, comparable à ce qui a été vécu en temps de guerre. Cette seconde crise systémique du siècle, après la crise financière de 2008, constitue un « stress test » grandeur nature pour les entreprises. Comment un tel contexte a-til modifié l’évaluation des entreprises  ? Peut-on parler d’évaluation « postCovid », et est-elle différente de celle du « monde d’avant » ? Pour répondre à ces questions, nous avons dans un premier temps analysé le comportement des ratios d’évaluation avant, pendant et après la crise, et dans un second temps nous faisons l’inventaires des modifications durables de la pratique de l’évaluation des entreprises post – Covid.

Les ratios d’évaluation : constatations

Les prix pratiqués par les marchés financiers, lorsqu’on les rapporte à des grandeurs comptables de l’entreprise, permettent de calculer des ratios d’évaluation. Ces mesures fluctuent fortement dans le temps, mais elles constituent des points de repère précieux.

Dans la mesure ou les résultats des entreprises ont été fortement impacté par un contexte économique particulièrement difficile, nous évitons d’analyser les ratios de type PER, VE/ EBIT ou VE / EBITDA. Nous analysons donc deux ratios d’évaluation moins dépendants de la conjoncture économique : le cours /actif net et la Valeur d’Entreprise / Ventes.

Les ratios présentés sont calculés sur la base de données financières prospectives (un an devant) et pondérées. (Graphique 1 et 2).

Ces deux graphiques montrent plusieurs éléments intéressants. Le premier est que la crise de l’année 2020 s’inscrit dans une hausse tendancielle des ratios d’évaluation, qui a commencé il y a plus de 10 ans, au lendemain de la crise financière de 2008-2009. Le second est que les ratios d’évaluation ont fortement augmenté pendant la crise de 2020, à l’exception du mois de mars, qui a vu le paroxysme de la volatilité des cours. En ce sens, la crise sanitaire a eu pour effet d’amplifier le phénomène préexistant de hausse tendancielle de l’évaluation des actions.

Les modifications durables de l’évaluation des actions

A quoi faut il attribuer cette amplification de la tendance à la hausse des ratios d’évaluation ?

Les raisons d’ordre général ont probablement été les plus importantes. Une crise systémique d’ordre sanitaire induit une réponse systémique, et les autorités monétaires comme gouvernementales ont été au rendezvous. En effet, pour éviter que la crise sanitaire et économique soit doublée d’une crise financière, les banques centrales ont activé très rapidement des dispositifs monétaires d’exception. Les « Quantitative Easing » ont été relancés des deux côtés de l’Atlantique pour des montants considérables (120Mds d’unités monétaires par mois aux USA comme en Europe), ce qui eut pour effet de « liquéfier » tout le système et d’éviter très efficacement la crise financière qui pointait à la mi-mars 2020. De leur côté, les Etats ont mis en œuvre des dispositifs de soutien aux ménages (chèques envoyés directement aux ménages aux USA par exemple) et aux entreprises (chômage partiel pris en charge par l’Etat en France, aides aux entreprises les plus directement touchées par les mesures de confinement). Ces injections de pouvoir d’achat ont permis au revenu des français d’augmenter très légèrement alors que le PIB chutait de plus de 8% : les « contremesures » ont été très efficaces. Au total, paradoxalement, les entreprises cotées ont été les grandes gagnantes de cette crise sanitaire : leur marge 2021 anticipées par les analystes financiers du consensus Facstet, sont attendues à un niveau supérieur au niveau publié en 2019, avant la crise sanitaire. Pourtant, le contexte de l’année 2021 n’était pas encore normalisé ; cela montre à la fois l’efficacité des mesures publiques et l’agilité des entreprises à les exploiter. (Graphique 3).

La hausse de l’évaluation des entreprises observée dans les prix, est justifiée par la modification des paramètres fondamentaux de la valeur. Tout d’abord, la démonstration de force des entreprises a été impressionnante. La hausse des marges en période d’incertitude incite les analystes à revoir à la hausse l’estimation de la capacité bénéficiaire potentielle des entreprises, et donc les flux futurs dans l’équation générale de la valeur. On a dit que la crise sanitaire a fortement accéléré, de plusieurs années, la mutation digitale de la société en général et des entreprises en particulier. Cette mutation digitale, on le sait, génère des gains de productivité importants, qui profitent notamment aux entreprises. Ensuite, la mobilisation immédiate et très efficace des banques centrales et des gouvernements, contribue à réduire le risque de réalisation des flux futurs et réduit fortement le risque de défaut des entreprises. Si demain, une nouvelle crise éclate, on sait désormais que les Etats et Banques Centrales se comporteront de la même manière. Leur affichage très « pro -entreprises » est patent. Ces éléments contribuent directement à réduire la prime de risque. Cet effet est d’autant plus fort que le taux d’actualisation des flux futurs est désormais constitué quasi uniquement de la prime de risque.

On peut ainsi dire que la crise sanitaire a eu pour effet paradoxal d’augmenter l’évaluation des actions via un double effet : prise de conscience de l’efficacité des entreprises qui justifie un relèvement de leur capacité bénéficiaire potentielle (hausse du numérateur de la valeur) et baisse de la prime de risque (Banques centrales et Etats très pro – entreprises). Ce phénomène de baisse de la prime de risque des actions vient s’ajouter à la prise en compte progressive du très bas niveau des taux d’intérêt. Ils tirent vers le bas le taux d’actualisation des actions, ce qui augmente leur valeur. Ils incitent les investisseurs institutionnels à vendre leurs portefeuilles des produits de taux, et acheter des actions…ce qui contribue à augmenter leur prix.

Eric GALIEGUE, Analyste financier indépendant, membre de la SFAF et de sa commission « Evaluation et Méthodes » Président de VALQUANT EXPERTYSE SAS