Sans remonter aux motivations qui avaient poussé la création de la CECA (Communauté Européenne du Charbon et de l’Acier) dans le cadre des accords de Paris en 1951, il est évident que l’esprit même de la fondation d’une Communauté Européenne est l’une des conséquences de la Seconde Guerre mondiale.

Établie autour de six nations, elle s’est élargie à 28 pour revenir à 27 après le retrait du Royaume-Uni. Elle aura donc connu une expansion territoriale et économique importante notamment après la chute de l’Union Soviétique en attirant plusieurs pays de l’Europe de l’Est.

En réaction à la fin des accords de Bretton Woods en 1971 avec l’abandon de la convertibilité du dollar en or et la f luctuation des devises, l’Europe d’alors se devait de réagir en imaginant le Serpent monétaire européen dont le but était de limiter la volatilité des changes entre les devises des pays appartenant à la Communauté Européenne.

Dès 1979, le Serpent monétaire européen laissera la place au Système Monétaire Européen (SME), concept accompagné par les prémices d’une monnaie commune qu’était l’ECU (European Community Unit). Les ambitions d’une forme d’unification monétaire commençaient alors à se dessiner.

Lorsqu’en 1982 dans une copie d’examen à l’Université, je prenais résolument parti pour la création d’une véritable monnaie unique européenne, je ne pensais pas qu’une décennie plus tard, les accords de Maastricht entérineraient la création de l’Euro et d’une Banque Centrale Européenne pour 12 États membres (désormais 19), l’Euro devenant ainsi leur monnaie officielle dès le 1er janvier 1999.

Malgré mon scepticisme face au choix des critères dits de stabilité qui avaient été retenus à Maastricht (voir l’interview de Christian de Boissieu sur la nécessité de leur évolution), je restais convaincu que le concept de monnaie unique était indispensable pour renforcer la position de l’Europe et tenter de résister à la montée inexorable de l’Asie dans le poids de l’économie mondiale, le Japon étant alors N°2 mondial malgré une population déjà vieillissante.

Pourtant, beaucoup voyaient dans l’Euro une monnaie qui ne pouvait réussir et qui n’avait pas d’avenir par l’absence d’une unité fiscale dans la zone et par les situations économiques divergentes entre les pays du Nord ‘fourmis’ et ceux du Sud ‘cigale’. Il m’a toujours semblé que tout ceci n’était pas une bonne justification d’un échec annoncé. Certes le franc français apparaissait à l’aube du 14ème siècle à l’initiative de Jean le Bon mais on ne peut pas dire que son histoire fut sans accrocs malgré l’unité déclarée du pays. A l’opposé, le dollar a été créé en continuité de la signature de la Constitution des Etats-Unis d’Amérique qui fédérait des états déjà très différents. De nombreuses voies expliquaient à l’époque (et encore aujourd’hui) qu’une monnaie ne pouvait être établie durablement que dans un pays unifié ou dans une zone économique convergente : c’est la raison pour laquelle, avant le passage à l’Euro, un effort fut tenté de mettre les pays au même diapason. Cela s’apparenta dans certains cas à du pur habillage bilantiel.

L’autre point tant discuté pour expliquer les défauts persistants de la zone Euro serait l’absence d’une véritable union budgétaire entre les pays de la zone. Alors même si les Etats-Unis ont bien un budget fédéral qui permet des transferts du fédéral vers les états et des rééquilibrages entre chacun des 50 États, ceux-ci n’effacent pas l’extrême disparité entre les états les plus riches et les États les plus pauvres. Pourtant, cela ne semble  pas avoir affecté le rôle dominant du dollar ces 50 dernières années.

On peut noter que l’Euro s’est, quant à lui, peu à peu imposé comme seconde monnaie de réserve mondiale et a fait preuve de beaucoup d’incertitudes sur sa résilience malgré des signes évidents de faiblesse lors des dernières grandes crises : celle des subprimes (faiblesse appuyée par les errements de certains pays de la zone à accepter d’en soutenir d’autres) puis lors de la crise sanitaire. Sans l’Euro, l’économie de plusieurs pays européens (y compris parmi ceux qui n’ont pas rejoint cette zone), aurait subi des dégradations bien plus importantes. L’Euro a probablement aidé à sauver l’Europe ; l’Euro aurait donc confirmé, dans des situations extrêmes, son rôle de monnaie de résistance.

Est-ce que l’Europe ne finirait pas par être obligée de s’unir véritablement autour d’une bannière unique : sa monnaie ?

La crise sanitaire a fait prendre conscience à l’Europe de sa dépendance en matière de production de médicaments, la guerre en Ukraine révèle ses faiblesses par son manque de vision stratégique concertée. La mondialisation a permis l’accès simplifié à beaucoup de matières premières, de produits industriels finis ou intermédiaires sans avoir à se préoccuper de la diversification des fournisseurs. Cette vérité a été violemment rappelée dans le domaine du gaz (trop forte dépendance de l’Allemagne et de l’Italie au gaz russe). 

Peut-on imaginer que sans l’existence de l’Euro, l’initiative de gérer au niveau européen les futurs stocks stratégiques d’hydrocarbure des 27 aurait pu être envisagée ? La stabilité de la valeur des stocks attribués entre les membres de l’union monétaire est de toute évidence un facteur de simplification.

La tentative par Facebook de lancer le Libra (puis le Diem) ce qui revenait à donner à une société privée la capacité de remplacer tout simplement la plupart des devises (pouvoir sans limite sur l’économie mondiale) a forcé les grandes banques centrales à accélérer leur démarche pour créer leur propre cryptomonnaie. Un Euro électronique ne serait-il pas une composante déterminante pour rendre possible la conservation, à l’avenir, d’une certaine indépendance de l’Europe ? On peut même imaginer que le crypt-Euro ou C-Euro deviendra de fait la monnaie électronique des 27 et pas uniquement celle des 19. Rien n’empêcherait techniquement cela. Mais beaucoup de tests sont en cours et il reste aussi à définir un nouvel agrégat monétaire le C1, en supposant que cela conserve un sens ; tout dépendra de la manière de le définir car comment les banques centrales arriveront à contrôler le volume de leur crypto-monnaie même si cela fait bien longtemps que la Réserve Fédérale ne contrôle plus le volume de dollars en circulation.

Faisons le pari que le C-Euro deviendra pour les 27 un instrument de guerre monétaire et économique en renforçant ainsi l’intégration européenne de demain.

Olivier CHAMPAGNE, Managing Partner STRAPER