Le monde d’après : comment financer les entreprises tout en accompagnant la transition environnementale ? Privilégier le haut de bilan et cibler les investissements

Au service de la relance et de la transition écologique, le financement de haut de bilan peut alléger le poids de la dette.

Depuis mars 2020, les besoins de liquidités, engendrés par le tarissement de l’activité dans certains secteurs, ont été satisfaits par le recours à l’endettement. L’action combinée des États et des banques - au travers des programmes de prêts garantis - et des autorités monétaires - grâce à l’assouplissement des conditions de financement – a été cruciale.

Sur l’année 2020, la dette des entreprises rapportée au PIB est ainsi passée de 73% à 88% en France, de 46% à 51% en Allemagne et de 63% à 72% en Italie. Concomitamment, les actifs financiers liquides des entreprises, notamment les dépôts bancaires, ont fortement augmenté tandis que le recours aux crédits courts se réduisait. Cette situation limite l’augmentation de la dette nette. Elle reflète l’attitude précautionneuse de dirigeants d’entreprise verrouillant un financement bon marché dans un environnement incertain. Elle résulte aussi de la liquidation d’une partie des stocks au cœur de la crise, ce qui interroge quant à la stabilité de cette liquidité dans la phase de reprise qui s’ouvre.

La hausse de l’endettement liée à la crise Covid soulève deux enjeux majeurs pour le financement des entreprises dans les années qui viennent.

• Premièrement, un enjeu de stabilité financière relatif à la capacité des entreprises à rembourser toute la dette contractée. Il convient de rappeler que les exercices de quantification du niveau des prêts non performants hérités de la crise restent soumis à de très fortes incertitudes, qui ont notamment trait au rythme de la reprise dans les secteurs les plus touchés.

• Le second enjeu est la capacité d’investissement des entreprises, dans un contexte de nécessaire transition écologique et digitale. Les entreprises qui se sont endettées pour financer une baisse d’activité ont partiellement obéré leur capacité d’endettement à court terme. Dans une étude récente (https://www.suerf.org/policynotes/23823/the-macroeconomics-of-covid-19-leverage), il est estimé qu’à l’échelle de la zone euro, la perte de PIB potentiel résultant de la baisse des capacités de financement liée à la dette COVID pourrait s’élever à 3,4%.

Ce diagnostic plaide d’une part pour une attention particulière des autorités monétaires et prudentielles portée aux conditions de financement des entreprises dans l’immédiat après crise et d’autre part pour le recours par ces entreprises à des solutions de financement complémentaires, notamment de haut de bilan. À cet égard les Prêts Participatifs Relance et Obligations Relance, dispositifs de financement en quasi-fonds propres partiellement garantis par l’État, lancés en avril 2021 pourraient, en dépit d’un démarrage poussif, contribuer à soutenir l’investissement en France dans les prochains mois.

Reconstituer les fonds propres des entreprises en recourant aux marchés financiers.

Les marchés financiers représentent un outil de la relance qui s’appuie sur la liquidité abondante des investisseurs comme en témoigne la dynamique d’IPO et des opérations secondaires. Ainsi, sur le 1er semestre 2021, Euronext – première place boursière en Europe – a accueilli plus de 100 nouvelles introductions en bourse, dont des IPO emblématiques qui ont permis de lever des montants records tels que les licornes Believe (300 millions d’euros levés) ou Aramis Group (387 millions d’euros levés). Par ailleurs, les sociétés déjà cotées ont eu recours aux marchés, en levant un montant record de 54,4 milliards d’euros en equity sur les marchés Euronext, soit + 96% par rapport au premier semestre 2020.

Cette dynamique a été alimentée par plusieurs facteurs. Dans un contexte durable de taux bas, la recherche d’une rémunération plus importante encourage le recours aux actions.

Ainsi, les institutionnels disposent de fortes capacités d’investissement et privilégient les secteurs en pointe que sont les technologies, la digitalisation et les écoindustries. La thématique et les critères ESG deviennent prépondérants dans leurs choix d’allocation d’actifs. Euronext vient d’ailleurs de lancer le CAC 40 ESG® pour accompagner cette tendance.

Les investisseurs particuliers ont également repris goût à la bourse : 16% des investisseurs individuels ont commencé à investir en 2019 et 2020 et en 5 ans, la demande moyenne des investisseurs particuliers à l’IPO a été multipliée par 24.

Enfin, de nouveaux véhicules d’investissement émergent et accroissent les capacités de financement en fonds propres, tels que les SPAC, qui proposent des conditions d’accès aux marchés moins contraignantes. Les SPAC ont connu une forte croissance aux États-Unis. Les fonds levés via ce type de véhicules s’élevaient à moins de 2% de ceux des IPO jusqu’en 2014 ; à 18% en 2019 et 45% en 2020. Ils se développent aujourd’hui en Europe. Euronext a ainsi accueilli 16 nouveaux SPAC sur ses marchés en 2021, dont 4 à Paris.

Orienter le financement de la transition écologique et environnementale vers les PME et ETI, acteurs majeurs de création d’emplois et d’activités dans les territoires.

Au cours de la dernière décennie, les PME et les ETI françaises ont été les locomotives de la création d’emplois en France et dans beaucoup de pays européens. Tous les secteurs – Immobilier et BTP, industries, services - ont été à la manœuvre et vont être touchés par la transition environnementale.

Ces entreprises restent principalement financées par les banques. Ces dernières devront progressivement apprendre à prioriser le financement des investissements facilitant la transition environnementale, l’innovation, la création d’activités répondant aux nouvelles normes écologiques et sanitaires. Elles sont en attente du résultat des travaux de l’Union Européenne qui est en train d’élaborer la « taxonomie européenne », formule barbare pour désigner la liste des secteurs pouvant être considérés comme « verts ».

Dans notre pays nous avons la particularité d’avoir la Banque de France qui, dès 2017, a lancé le « réseau pour le verdissement du système financier » en vue de promouvoir les meilleures pratiques en matière de finance verte. En 2019, elle a même été la 1ère banque centrale à publier un rapport sur sa politique d’investissements responsables. Les banques françaises peuvent s’appuyer sur cet exemple pour faire évoluer leurs systèmes d’octroi de crédits.

Chez Banque Palatine, nous proposons d’ores et déjà aux promoteurs immobiliers que nous finançons d’analyser la qualité environnementale et sociale de leurs programmes via une « calculette verte ».

Par ailleurs, en lieu et place d’interdiction de financement de certains secteurs ou pratiques considérés comme non verts (mais dont certains sont encore indispensables au fonctionnement de nos économies et de nos sociétés), il serait pertinent que les régulateurs bancaires adaptent les calculs de risques pondérés des banques à la taxonomie pour flécher peu à peu les crédits vers l’accélération de la transition environnementale. Cela aurait le mérite pratique à la fois de renchérir le coût du crédit pour les secteurs non verts en leur appliquant une forme de taxe carbone financière et de ne pas mettre fin brutalement à certaines activités.

Au total, pour financer la transition de nos économies et celle des PME et ETI, passons de l’incantation à la transition réelle et agissons tous ensemble pour investir utilement en faveur des générations futures !

Camille LECA, Head of Listing France, Portugal & Spain, Euronext

Simon RAY, Économiste, membre de BSI Economics et enseignant à Paris-Dauphine

Christine JACGLIN, Directrice générale Banque Palatine