Les Biotechs, leurs attraits, leurs difficultés

Nous vivons une époque formidable, celle d’une meilleure science qui attire toujours plus de capital.

Dans le monde de la pharmacie et des médicaments, certains parlent de bio-révolution.

L’épidémie du SARS-COV2 a attiré les regards vers les projets de santé. Plus de 250 projets de vaccins contre le virus sont en cours, projets qu’il a bien fallu financer, et donc l’argent est là. Les projecteurs sont braqués vers les projets scientifiques.

Les biotechnologies sont un secteur prospère. Tout comme les autres secteurs, le secteur n’était pas immunisé contre l’effondrement temporaire du début 2020. Depuis 2000, il avait surperformé les autres secteurs jusqu’à la fin 2019 avec une croissance à deux chiffres ; il a connu une remontée plus rapide au 2ème semestre 2020 et devrait surperformer les autres secteurs techniques ou scientifiques en 2021.

Au sein du secteur et depuis 2012, les fonds levés en bourse ont progressé à un rythme moyen pondéré de 39%, les levées de capitalrisqueurs au rythme de 20%, et les opérations au sein du secteur (acquisitions, partenariats) de 16% (source : Mc Kinsey – nov. 2020). L’appétit de la bourse se manifeste et tient dans la durée.

Au cours de 2020, en dépit de l’effondrement global des marchés, les levées de fonds des biotechs n’ont pas faibli, progressant même de plus de 35% par rapport à 2019 (source : Mc Kinsey – nov. 2020).

La caractéristique des biotechs est que l’on dépense l’argent levé avant de commencer à gagner le premier euro par la vente de la molécule que la biotech a développé. Compte tenu de la durée de la recherche, généralement 5 à 10 ans ou plus, une sortie classique d’un investisseur sur la base de bénéfices comptables avérés peut ne se produire qu’au bout de nombreuses années. L’appétit boursier grandissant a vu le développement aux USA des SPAC’s (véhicules spécifiques dédiés, littéralement sociétés accordant des chèques en blanc), facilité par la bienveillance grandissante des autorités boursières américaines vis-à-vis de l’introduction de PME en bourse. Ces SPAC’s permettent la sortie des investisseurs en cours de route.

Le développement d’une molécule pharmaceutique se fait selon des phases précises, codifiées par les autorités règlementaires qui accordent les autorisations de mise sur le marché des médicaments (ANSM en France, FDA aux USA, et de nombreuses agences dans les différents pays développés). En fonction de ces phases, les levées de fonds se dénomment Seed (pré-clinique), Series A (après la réussite de la préclinique ou de la phase I), Series B (pour financer la Phase II) et Series C lorsque la molécule démontre déjà des résultats tangibles et validés. Le marché de financement de biotechs de ces dernières années montre une stabilité de la proportion des fonds levés lors des premières phases des projets, environ la moitié, échelonnés entre la préclinique, la Série A et la Series B. La majorité des investisseurs s’intéresse aux projets lors des phases initiales des projets.

L’innovation par les biotechs semble se poursuivre et même augmenter. Le nombre de projets répertoriés croit à un rythme annuel de 12% pour les projets en Phase I, de 8% pour les projets en Phase II et de 4% pour les projets en Phase III. Les projets se cotent en bourse pour 23% lorsqu’ils sont en Phase I, et à hauteur de 28% lorsqu’ils atteignent la Phase II (source : Mc Kinsey – Novembre 2020). Le pipeline continue de croitre.

Les perspectives 2021 du secteur paraissent très bonnes. La proportion des investisseurs étrangers sur les marchés de biotechs américains ne cesse de croitre, pour des projets à des stades peu avancés encore (Chine : 40%, Europe : 12%).

L’issue d’un projet de biotech se fait le plus souvent par la vente à un groupe pharmaceutique. Les « big pharmas » disposent de réserves en cash suffisantes (est. Mc Kinsey : 170 milliards de USD) pour que les sorties des investisseurs se passent en des termes favorables pendant une période assez longue.

L’impact de la biologie et de la biotechnologie dans l’innovation est de plus en plus important, et les utilisations de l’intelligence artificielle ou les interactions avec les patients vont se développer.

Les perspectives du monde des biotechs sont donc plutôt ensoleillées.

Pourtant, la vie de l’entrepreneur d’une biotech n’est pas si tranquille.

Il vit dans un métier dans lequel le cash manque toujours. Les biotechs en phase de recherche sont en permanence à l’article de la mort (en moyenne le cash disponible couvre les 12 prochains mois, et encore). Les entrepreneurs de biotechs ne doivent pas culpabiliser sur le sujet, tous sont dans le même état ; mais ils doivent consacrer une grande partie de leur temps à convaincre les investisseurs du succès probable de leur projet.

L’entrepreneur d’une biotech a besoin de s’entourer de compétences techniques et scientifiques solides, sur une durée suffisante, ce qui n’est pas simple. La région Wallonie a su créer un pôle de biotechnologie remarquable pour remplacer son industrie sidérurgique. Il combine une université dédiée (Louvain), un écosystème fourni de sociétés de recherche et de laboratoires qui permet de mener les développements sans être obligé d’aller chercher ses composants en Chine, et un système de subventions dans lequel la région abonde d’un euro supplémentaire tout euro investi en fonds propres dans la région.

Les compétences sont un facteur majeur. J’ai pu être le témoin de l’abandon d’un projet de santé publique majeur parce que le dossier des essais cliniques était incomplet et ne permettait pas une poursuite du développement. Les contrôles menés par l’autorité règlementaire, tatillonne, fonctionnarisée, non qualifiée, n’ont servi à rien. Des normes internationales sur la constitution et le contenu de dossiers d’essais cliniques ont été développées progressivement.

Il est important pour l’entrepreneur que son comité scientifique joue effectivement son rôle, en validant les recherches et les résultats obtenus. Trop souvent, le comité scientifique n’est composé que de scientifiques reconvertis dans les relations publiques pour valoriser leurs états de service.

L’entrepreneur a besoin d’un partenaire investisseur qui va le suivre sur la durée, pas d’un investisseur dont l’objectif est de maximiser son profit à court terme, ou de s’emparer du projet de l’entrepreneur au bout de cinq ans. Je suis frappé par le fait que les scientifiques ont de plus en plus une forte réticence à faire appel à certains fonds de capital-investissement français. Et les équipes de ces fonds manquent assez souvent d’hommes métiers.

Le sujet de la valorisation de sa biotech à ses différents stades concerne l’entrepreneur à titre personnel, et il ne doit pas le négliger. Les exercices de valorisation par des analystes peuvent faire sourire, parce qu’ils ne sont que des exercices comptables. Certains scientifiques parviennent à lever des fonds considérables aux USA, à un stade de recherche peu avancé, dans certains domaines de recherche (l’oncologie par exemple), sur leur réputation scientifique, sans rapport avec un quelconque modèle de valorisation.

La réussite du projet d’une biotech et de son financement dépend beaucoup de la qualité et de la conviction de l’entrepreneur. Un investisseur avisé se méfiera tout de même d’un entrepreneur trop convaincant porté par une idée apparemment géniale. Les exemples de déconvenues ne manquent pas.

En dépit de cet environnement formidable, la place financière de Paris se meurt à petit feu et les biotechs n’y prospèrent pas.

La bourse française n’est pas un outil pour les biotechs (une seule IPO de biotech en 2020), alors qu’il est toujours trop tard pour un entrepreneur pour se coter. Les décisions d’admission sont prises à Amsterdam, l’indice des biotechs d’Euronext combine la France, les Pays-Bas et la Belgique. Les introductions de ces dernières années ont été médiocres, et se concentrent sur les medtechs. En dépit de l’assouplissement des règles d’introduction des PME sur les marchés boursiers (notamment américaines), les autorités ou opérateurs français continuent d’exiger un financement assuré sur le long terme avant l’introduction sur le marché, alors que le marché devrait servir à lever ces capitaux qui sont demandés avant la cotation.

Les fonds de capital-investissement n’ont de capital investissement que le nom : pas de capital, pas d’investissement, mais de la dette, en substance. La BPI propose des aides à l’innovation qui sont de la dette à rembourser à partir de trois années, alors que les projets s’étalent sur 5 à 10 ans.

Le crédit impôt recherche déclenche en général un contrôle fiscal, et il faut attendre pour obtenir son remboursement.

En dépit d’un vivier important en France de scientifiques et de chercheurs, les biotechs françaises ne suivent pas le mouvement général du secteur. La grande faiblesse du nombre de projets français se constate tristement lors des rencontres internationales investisseurs/ biotechs.

La biotech est un secteur prometteur, un investisseur étendra ses choix de projets à l’international.

Thierry DETTLOFF, Directeur Général/ Conseil Senior – Nanotracks Diagnostics, Biosantech, Organic Vaccines Plc Conseil Senior – IPO n°1 L. Thannberger