Nous n’en avons pas fini avec la pandémie

Plus de 4,5 millions de morts. C’est, à ce jour, le triste bilan humain infligé au monde par la pandémie de COVID-19 depuis son apparition. A pandémie rapide et brutale, réponse rapide et brutale. La plupart des pays affectés ont pris, dans un premier temps, des mesures de distanciation physique, de fermeture d’activités et de confinement drastiques dans le but de casser les chaînes de contamination et de limiter l’extension de la pandémie. S’il est difficile d’estimer le nombre de victimes ainsi évitées, le coût économique de ce “Grand Confinement”, comme l’a baptisé Gita Gopinath –cheffe économiste du Fonds Monétaire International (FMI)– est massif. Jamais, depuis la fin de la seconde guerre mondiale, l’économie mondiale n’aura connu de récession aussi rapide et profonde. Le Fonds Monétaire International (FMI)1 estime ainsi que l’économie mondiale a subi une contraction de l’activité de 3.3% en 2020. Dans un rapport pour la Brookings institution, les économistes Yeyati et Filippini2 évaluent le coût économique de la pandémie à l’équivalent du produit intérieur brut (PIB) mondial en 2019, soit toute la richesse mondiale crée pour cette année.

Les coûts ne sont cependant pas partagés uniformément.Il existe une très grande hétérogénéité entre les pays. Les pays les plus exposés au virus ont été plus affectés par ce Grand Confinement. Mais l’histoire ne s’arrête pas là. Les économies dont la structure sectorielle est d’avantage orientée vers des activités nécessitant des contacts –le tourisme par exemple– ont subi des pertes de croissance plus importantes. Ainsi, l’Espagne et la Grèce ont perdu respectivement 11 et 8.2% de PIB en 2020, contre 1.3% pour le Luxembourg. De la même façon, les économies exportatrices de biens primaires, utilisés en amont de la chaîne de production et de ce fait plus sensibles aux variations de la demande agrégée mondiale, ont également été relativement plus affectées. Où se situe la France dans ce tableau ? En 2020, la croissance de l’économie française s’est établie à -8.3%. Ce chiffre gomme cependant de fortes variations de la croissance au cours de cette année, très corrélée avec l’évolution de la situation sanitaire. Si le troisième trimestre était marqué par une forte embellie, les mesures de confinement et l’instauration du couvre-feu en octobre ont entraîné un repli du PIB de 1.3% sur le dernier trimestre.

La politique économique n’est pas restée inactive dans la crise. Sur le front des dépenses publiques, les mesures mises en place visaient deux objectifs principaux, soutenir la demande et assurer les conditions de l’offre. Le soutien de la demande s’est opéré à travers des transferts directs aux ménages ou des mesures de chômage partiel. Le maintien à flot d’entreprises par des mesures d’exemption (totale ou partielle) de taxes ou de prêts directs ont contribué au maintien des conditions de l’offre. Les gouvernements ont également engagé des dépenses supplémentaires à destination des services de santé. La marge de manœuvre budgétaire –c’est-àdire la capacité du gouvernement à allouer des ressources à certaines dépenses sans compromettre sa situation financière– et le niveau des taux d’intérêt ont déterminé, pour une large part, l’ampleur des interventions. Les pays de la zone euro ont ainsi bénéficié de taux d’intérêt historiquement faibles, facilitant le recours à la dette pour financer ces mesures. Ainsi, les déficits publics français et italien ont largement dépassé les critères de Maastricht, respectivement 9.2 et 9.5% du PIB. La dette française qui s’établissait à 98.7% du PIB en 2018, représente maintenant 115.2% en 2021. Mais toutes les économies n’ont pas pu agir « quoi qu’il en coûte », certaines –essentiellement parmi les pays émergents– parce que leur dette souveraine était jugée trop risquée, n’ont pas eu accès aux mêmes largesses, renforçant ainsi la disparité entre pays.

Ces mesures fiscales ont été complétées par divers types d’interventions de la part des banques centrales. Le premier type d’intervention visait à soutenir la demande agrégée en maintenant de faibles niveaux de taux d’intérêt, soit en manipulant les taux directeurs, soit par des mesures non conventionnelles d’achats massifs d’actifs. Le second visait à garantir de bonnes conditions de financement des ménages et des entreprises par des apports massifs de liquidité dans le système financier. L’impact exact de toutes ces mesures est difficile à quantifier. Cependant, le FMI estime que la contraction de l’activité aurait été trois fois plus importante en l’absence de ces mesures.

Les prévisions de croissance pour l’année 2021 sont à la hausse. Le FMI prévoit une croissance de 6% pour l’économie mondiale, 6.4% pour les états unis, 4.4% pour la zone euro. Les prévisions pour la France sont également optimistes, 6.25%. Pour optimistes qu’elles soient, ces prévisions sont assorties d’une très grande incertitude et sont tributaires de l’évolution de la pandémie et de l’accès à une vaccination efficace (notamment dans les pays pauvres). Un nouveau variant résistant, une reprise de la pandémie et ce sont de nouvelles mesures de confinement qui seront prises, avec des conséquences sur l’activité et l’emploi qui pourraient être plus marquées dans la mesure où la marge de manœuvre des états est érodée. Si les banques centrales peuvent pallier certaines déficiences des états, elles ont également leurs limites. Elles ne peuvent mettre à mal leur crédibilité sur les marchés, ni compromettre la stabilité du système financier. Un scénario plus favorable d’un point de vue sanitaire ne signifie pas pour autant moins de prudence. Une reprise trop rapide dans les pays avancés pourrait conduire à une réévaluation du risque inflationniste. Cet accroissement du risque se traduirait par une baisse du prix des actifs financiers risqués, provoquant des pertes dans les établissements financiers non bancaires, mais également une élévation des primes qui limiterait le financement des entreprises et des ménages déjà endettés. Un durcissement des conditions de financement mettrait à mal les perspectives de croissance, pouvant ainsi conduire à une nouvelle baisse du prix des actifs et un nouveau resserrement des conditions de financement. Ce risque est cependant limité dans le temps, les banques centrales ayant montré par le passé leur capacité à contrôler l’inflation. Les politiques de soutien aux entreprises ont contribué à maintenir en vie un certain nombre d’entreprises non viables. Il faut sans doute s’attendre à une reprise des faillites à moyen terme. Ces politiques ont également pu entraîner une allocation inefficace des capitaux et de la main d’œuvre vers des activités moins productives, freinant ainsi la croissance à moyen terme. Nous n’en avons donc pas fini avec la pandémie.

1/ “Perspectives Mondiales de l’économie”, Fond Monétaire International, Avril 2021.

2/ “Social and Economic Impact of COVID-19”, Yeyati, E.L. et Filippini, F., Brookings Global Working Paper 158, 2021.

Fabrice COLLARD, Directeur de recherche au CNRS