Quel avenir pour les entreprises françaises en difficulté ?

En 2020, sous l’effet des prêts garantis par l’Etat français (PGE), le nombre de défaillances d’entreprises a été historiquement bas. Il s’est établi, selon l’INSEE, à 30000 contre 54000 en moyenne depuis 2016, avec pour corollaire de moindres destructions d’emplois (Heyer, 2020)1 . Ces mesures de soutien temporaire ont permis aux entreprises de faire face aux conséquences de la pandémie sur le PIB qui, en 2020, a connu un recul inédit de 8,3%, selon l’INSEE. Avec ces chiffres, nous sommes bien loin de la crise de 2008 où 60000 entreprises françaises avaient déposé le bilan. On peut néanmoins se demander si l’écosystème français de la difficulté est bien préparé à l’après PGE.

En effet, le PGE s’inscrit dans un environnement de taux d’intérêt historiquement bas, favorisé par la politique accommodante de la BCE visant à stimuler la reprise économique après les crises de 2008 et 2011. Ce contexte a favorisé l’endettement des entreprises françaises qui s’élève à près de 170% du PIB en 2020, un niveau record pour les pays développés. L’endettement est d’ailleurs considéré comme le principal risque pesant sur le système financier par la Banque de France (2020)2 . Malgré la prolongation du PGE jusqu’à la fin 2021, les prévisionnistes anticipent une vague de faillites sans précédent dans les trimestres à venir. Ainsi, Euler Hermès (2021)3 table sur une hausse de 41% en 2021, puis 38% en 2022, qui touchera principalement les TPE et les PME. Le rapport d’information du Sénat de mai 20214 considère, à cet égard, que la sortie du PGE peut être une « bombe à retardement » pour l’économie française. L’objet de cette contribution est ainsi de déterminer si cette dernière est suffisamment élastique pour favoriser le rebond des entreprises en difficulté et/ou celui des chefs d’entreprise ayant connu la faillite.

1. Le risque de zombification de l’économie

Une étude de la direction générale du Trésor (2021)5 montre que le PGE a permis aux entreprises de surmonter le choc et, qu’en son absence, près de 12% des entreprises françaises seraient devenues insolvables. Les 135 milliards d’euros garantis par l’Etat à quelques 675 000 entreprises, dont près de 90% de TPE/PME, ont donc bien joué leur rôle d’amortisseur. Pour autant, ce soutien de l’Etat et du système bancaire pose aujourd’hui la question du remboursement du PGE, mais aussi des dettes antérieures, dans un contexte de reprise particulièrement incertain. La crainte est que les mesures d’aides développent la zombification de l’économie.

Selon l’OCDE (2021)6, une entreprise zombie est définie comme une firme d’au moins 10 ans, dont le ratio de couverture des intérêts est inférieur à un sur trois années consécutives. Pour Banerjee et Hofman (2018)7 l’augmentation des firmes zombies, depuis la fin des années 1980, est due à la réduction de la pression financière et à la baisse concomitante des taux d’intérêt. Le taux de zombification est ainsi passé de 4 à 15% des entreprises entre 1980 et 2017 pour 14 économies avancées. La singularité de la France est que le taux a doublé depuis 2008, passant de 8 à 16%, alors qu’il restait stable ou décroissant en Europe continentale. Cette estimation ne concerne que les firmes cotées et reste inférieure au taux de zombification des TPE/PME qui est plus complexe à calculer du fait de l’accès aux données.

La zombification pose une difficulté aux banques car la multiplication anticipée des faillites va peser sur leur coût du risque, sur leur performance financière et, finalement, sur leur capacité à prêter8. La zombification soulève également un problème d’allocation des ressources financières dans un contexte où l’information décisionnelle est essentielle. En particulier, les banques peuvent avoir du mal à distinguer les firmes saines représentant une réelle opportunité commerciale. Ces dernières pourraient, en conséquence, voir leur accès au crédit s’assécher, ce qui pourrait entraver l’innovation, la compétitivité et la reprise économique.

Pour éviter cette zombification, il est donc urgent de proposer des solutions d’accompagnement pour les entreprises et notamment les plus fragiles. La santé des entreprises est déterminante, d’abord pour l’entrepreneur qui n’a pas le droit à l’assurance chômage s’il dépose le bilan, mais également pour ses parties prenantes afin d’éviter des faillites en cascade.

2. Agir au cœur de l’écosystème entrepreneurial : les interactions avec les acteurs

Le rapport du Conseil National des Administrateurs Judiciaires et Mandataires Judiciaires (2021)9 indique que les chances de rebond des entreprises en difficulté se situent désormais parmi les meilleures du monde en France avec 39% des procédures de redressement permettant d’éviter la liquidation. Ces bons résultats sont à marquer au crédit des acteurs de la difficulté, que l’on parle des tribunaux de commerce ou des mandataires et administrateurs judiciaires. Le législateur a, lui aussi, apporté sa pierre à l’édifice. La loi PACTE, promulguée en 2019, prévoit d’ailleurs l’extinction des dettes dans un délai maximal de trois ans à compter du jugement d’ouverture de la procédure de liquidation judiciaire. Sur cette base, des premiers résultats se font jour en France. Selon les statistiques de la Banque Mondiale (2021)10, le temps nécessaire pour effacer une insolvabilité, en 2019, serait de 1,9 année dans notre pays contre 1,2 année en Allemagne (moyenne OCDE : 1,7 année). Dans la même veine, le taux de recouvrement des créances serait de 74,8% en France contre 79,8% en Allemagne (moyenne OCDE : 70,2%). Il reste néanmoins un long chemin à parcourir.

Ces performances renvoient en effet à des modèles d’accompagnement des difficultés différents et posent la question de la capacité des entrepreneurs à se relancer, par la suite, dans une nouvelle aventure entrepreneuriale. Les difficultés rencontrées pour rebondir s’expliquent alors autant par des raisons exogènes, un écosystème de l’entrepreneur qui présente encore des obstacles (notamment en termes de stigmatisation post-faillite des chefs d’entreprise), que par des causes endogènes, les entrepreneurs pouvant se décourager et perdre leur ambition après un échec.

Des pistes sont ainsi à rechercher au niveau du microenvironnement de l’entrepreneur dans ses relations avec ses parties-prenantes. C’est particulièrement le cas de l’accompagnement bancaire. Des délais de décharge rapides ne signifient pas que la banque soit remboursée et qu’elle ait un jugement positif sur la liquidation judiciaire. En effet, le critère premier du banquier reste que le chef d’entreprise ait liquidé « proprement  », c’est-à-dire n’ait pas laissé d’ardoise à ses précédents partenaires bancaires (une information facilement accessible pour les banquiers). En outre, l’apurement de la dette ne signifie pas, pour autant, que l’entrepreneur sera financé par une banque dans le cadre d’un nouveau projet car ses capacités de gestionnaire peuvent être remises en question suite à un dépôt de bilan.

Côté entrepreneurs, on assiste aussi à une forme d’auto-sélection car les chefs d’entreprises anticipent une discrimination et se découragent d’emprunter11 (sans même en faire la demande) et s’orientent vers des activités moins risquées comme le salariat ou un entrepreneuriat largement redimensionné (de type conseil ou formation). Il est donc urgent de redonner aux marchés une information et une connaissance permettant aux entrepreneurs, comme à leurs partenaires, de considérer la difficulté comme une opportunité de pivoter.

C’est donc des deux côtés que des actions concrètes doivent être mises en œuvre pour améliorer la qualité de l’information, renforcer les droits des créanciers, responsabiliser les acteurs face à la difficulté sans les condamner pour leurs échecs, dé-diaboliser la difficulté et son accompagnement. Si les solutions doivent être appréhendées au niveau opérationnel, la représentation de l’échec et la stigmatisation dépassent les seules problématiques du système bancaire pour toucher à l’ensemble de la société. Dans la culture française, l’échec doit devenir une occasion d’apprendre et de rebondir.

1/ Heyer E. (2020), « Défaillances d’entreprises et destructions d’emplois : une estimation de la relation sur données macro-sectorielles », Revue de l’OFCE, n°168, 164- 177.

2/ https://publications.banquefrance.fr/evaluation-des-risquesdu-systeme-financier-francaisdecembre-2020

3/ https://www.eulerhermes.fr/etudes-economiques/defaillances.html

4/ Sénat français (2021), « Comment réussir la sortie des prêts garantis par l’Etat ? », Sénat, Paris. 

5/ Hadjibeyli B., Roulleau G. et Bauer A. (2021), « L’impact de la pandémie de Covid-19 sur les entreprises françaises », Trésor Eco, n°282, Avril.

6/ https://www.oecd.org/fr/economie/exit-policies-and-productivity-growth.htm

7/ Banerjee R. et Hofmann B. (2018), « The Rise of Zombie Firms: Causes and Consequences », BIS Quarterly Review, 67-78, September.

8/ A titre d’exemple, la BPI a provisionné 28 milliards d’euros ses pertes sur créances et sur garantie, soit 5 fois le montant de 2019. 

9/ Conseil National des Administrateurs Judiciaires et Mandataires Judiciaires, Analyse comparative des systèmes de procédures collectives en Europe, février 2021.

10/ https://donnees.banquemondiale.org/indicator/IC.ISV.DURS

11/ Rostamkalaei A., Nitani M. et Riding A. (2020), « Borrower discouragement: the role of informal turndowns », Small Business Economics, vol. 54, n°1, 173-188.

Julien CUSIN, Professeur des Universités chez IAE Bordeaux

Jean-Marc FIGUET, Professeur d'Économie, Responsable du Master MBFA de Larefi - Université de Bordeaux

Vincent MAYMO, Directeur adjoint du collège Droit Sciences Politiques Économie Gestion chez Université de Bordeaux