Retour sur la crise sanitaire

La chute de l’activité de 2020 qui a été spectaculaire (–3,6% au niveau mondial, -8,1% en France) avait ceci de particulier qu’elle était due quasi-exclusivement à un choc exogène -la pandémie- dont les conséquences économiques négatives ont été amplifiées par le confinement de la population –le premier confinement, celui du printemps 2020, qui fut presque total, a duré en France 55 jours…- et l’impossibilité pendant plusieurs semaines de travailler et donc de produire.

Inadaptation des politiques de relance keynésiennes

Ceux qui annonçaient dans ces circonstances des catastrophes voire un effondrement ravageur de l’économie se sont assez largement trompés car ils se sont contentés de reproduire les schémas d’autres récessions qui, elles, étaient endogènes et traduisaient la faible rentabilité de nombreuses entreprises. Le confinement a empêché l’utilisation du capital physique mais ce capital n’a pas été détruit. Dès qu’on a eu le droit de s’en servir, il a été immédiatement réutilisé et la production a retrouvé progressivement ses niveaux antérieurs. Ainsi, la France a retrouvé le PIB du dernier trimestre 2019 au dernier trimestre de 2021.

Un des problèmes auquel la plupart des pays ont dû faire face est que la réponse à cette récession a été inappropriée. Ils se sont engagés dans des politiques de relance traditionnelles d’inspiration keynésienne. Or les politiques keynésiennes ont pour but de contrecarrer un ralentissement de l’économie dû à une insuffisance de demande grâce à une augmentation des dépenses publiques. Mais en 2020, le problème n’était pas un manque de demande, mais un blocage de l’offre. L’OCDE a d’ailleurs souligné à plusieurs reprises que c’est la vaccination plus que les plans de relance qui a soutenu la sortie de crise. En revanche, les dispositifs comme les PGE qui ont permis d’assurer la préservation de la structure entrepreneuriale et d’écarter une faillite généralisée des entreprises ont été utiles.

Concernant les ménages, l’Etat a compensé les conséquences de la récession sur leur revenu, moyennant un accroissement spectaculaire de sa dette. Cela a eu deux conséquences : une hausse plus ou moins forcée de l’épargne, les ménages ne pouvant dépenser dans les périodes où les magasins étaient fermés ; une hausse des importations telle que notre déficit extérieur est plus important que celui de 1982 qui avait justifié le recours à la rigueur.

Redresser les finances publiques

Maintenant que la reprise est là et que l’économie retrouve les tendances d’avant la Covid 19, la préoccupation centrale doit être celle de l’assainissement des finances publiques.

Les concernant, les débats se centrent essentiellement sur la dette publique dont le stock en France tangente les 120% du PIB. On évoque souvent à son propos le problème de son remboursement. C’est oublier qu’en pratique, elle est «  perpétuelle », les Etats se contentant de verser les intérêts. Depuis le début du XIXe siècle, aucun crédit n’est inscrit dans leur budget pour le remboursement de leur dette. Aujourd’hui, chaque fois qu’un emprunt arrive à échéance, il est immédiatement replacé.

L’enjeu est en fait la charge de la dette, et donc fondamentalement le taux d’intérêt. Et éviter que ce taux d’intérêt n’évolue de façon trop erratique relève de l’action de la banque centrale. Le statut de la Réserve fédérale américaine est explicite en la matière : « Maintenir en moyenne une croissance des agrégats monétaires et de la quantité de crédit compatible avec le potentiel de croissance de la production, de manière à tendre vers les objectifs suivants : un taux d’emploi maximum ; des prix stables ; des taux d’intérêt à long terme peu élevés ».

Bien qu’indépendantes, les banques centrales maintiennent des taux très bas dans le but d’alléger la charge d’intérêt des Etats. Elles vont même plus loin puisqu’en rachetant sur le marché secondaire la dette, elles la rendent gratuite. En effet, les banques centrales reversent aux Etats les intérêts qu’ils leur ont versés sur leur dette. Le problème est donc ailleurs. Il tient à ce que toute dépense publique non financée par un prélèvement sur la dépense privée augmente la demande. Or si cette augmentation se pérennise, elle entraîne soit un apport d’offre extérieure, c’est-àdire un creusement du déficit commercial, soit une possibilité offerte aux entreprises d’augmenter leurs prix, c’est-à-dire une relance de l’inflation. De nos jours, les déficits publics récurrents débouchent sur des déficits extérieurs élevés : c’est ce que l’on appelle les « déficits jumeaux » (twin deficits en anglais).

Inflation et pouvoir d'achat

Qu’en est-il en fait de l’inflation ? Selon l’Insee : « L’inflation est la perte du pouvoir d’achat de la monnaie qui se traduit par une augmentation générale et durable des prix ».

L’inflation est la conséquence d’un écart entre une demande devenue excessive et une offre qui a du mal à suivre. Les économistes appellent cet écart un « gap inflationniste ».

L’économiste Nicolas Gregory Mankiw a énoncé 10 principes qui résument les résultats de la science économique. Les deux derniers abordent l’inflation. Le 9e affirme : « Les prix augmentent lorsque le gouvernement imprime trop de monnaie ». C’est-à-dire que la première source d’inflation est la création de monnaie servant à financer le déficit budgétaire. Il est complété par le 10e : « A court-terme il existe un arbitrage entre inflation et chômage ». C’est-à-dire qu’en cas de plein emploi, les entreprises tendent à verser des salaires supérieurs à la productivité du travail, ce qu’elles compensent en augmentant leurs prix.

Pour Mankiw, le gap inflationniste vient d’une demande rendue excessive par un déficit budgétaire hors de contrôle et d’une offre en panne du fait d’une faible croissance de la productivité. Il se trouve que notre situation économique est caractérisée par des niveaux de déficits publics inégalés et par un affaissement de la productivité.

L’inflation n’est pourtant pas au rendezvous en ce sens que les hausses récentes de prix ne sont ni générales ni durables. Cela tient à ce que, dans une économie mondialisée comme la nôtre, la demande excédentaire se porte sur les importations, ce qui détériore nos comptes extérieurs.

Cette situation est d’autant plus préoccupante que la volonté affichée par nos dirigeants est d’accroître le pouvoir d’achat sans prendre en compte la réalité économique du pays qui, pour reprendre une phrase de Raymond Barre à la fin des années 1970, « vit au-dessus de ses moyens ». Revenons pour mesurer le danger à Mankiw. Le point 8 de ses 10 principes s’énonce : « Le pouvoir d’achat d’un pays dépend de sa capacité à produire des biens et services »

Augmenter le pouvoir d'achat suppose de produire plus.

C’est en fait là que réside la conclusion à tirer de l’après crise sanitaire : la France, qui par rapport aux pays voisins, travaille globalement moins ne pourra améliorer sa situation économique qu’en mobilisant plus de travail.

Jean-Marc DANIELÉconomiste français, éditorialiste et directeur de la revue Sociétal