Rôle de l’enseignement dans les start-ups

Je pense que les écoles d’ingénieurs ont encore à faire pour promouvoir efficacement l’esprit d’entreprendre chez leurs élèves. Beaucoup d’étudiants ingénieurs considèrent encore l’entrepreneuriat comme un débouché d’école de commerce, les cursus de ces dernières étant probablement plus orientés sur les thématiques de l’entreprise, et en particulier de la création d’entreprise.

Je me souviens que parmi mes camarades de l’Ecole polytechnique, nombreux sont ceux qui considéraient « bullshit » tout ce qui concernait les start-ups. Je pense que cela est dû à la visibilité exagérée des applications de « Meetic pour chat », comme le disait un éminent membre du département de l’entrepreneuriat et de l’innovation de l’X, applications qui ne proposent aucun développement technologique particulier, alors que le développement technologique est l’essence même d’un cursus ingénieur. Une première avancée serait à mon sens de mettre plus en lumière les start-ups avec un potentiel technologique fort, pour faire comprendre aux étudiants que l’innovation entrepreneuriale est passionnante scientifiquement.

Il faut néanmoins souligner la volonté et les efforts des écoles d’ingénieurs pour la promotion de l’entrepreneuriat. Nombreuses sont celles qui ont ouvert un programme d’incubation, ou au moins un département d’entrepreneuriat. Il est regrettable néanmoins de constater, dans le cas de l’X que je connais bien, que très peu des bénéficiaires de ces programmes soient des élèves ou des jeunes diplômés de l’Ecole. Cela est notamment dû au manque de créateurs d’entreprises dans les rangs de l’Ecole.

On peut noter également la création de cursus entrepreneuriaux dans beaucoup d’écoles d’ingénieurs. Ces cursus sont cruciaux pour les jeunes entrepreneurs. Ayant moi-même lancé mon projet entrepreneurial durant mes études, un cursus enseignant comment entreprendre était une aubaine. Il donnait les outils méthodologiques ainsi que les prérequis nécessaires à la création d’entreprise, et, plus pragmatiquement, permettait de mettre à profit du temps de cours pour le développement de l’entreprise.

Pour en venir plus précisément au cas des étudiants entrepreneurs, je pense qu’il est important que les écoles réalisent le temps et l’énergie que requiert le développement d’un projet d’entreprise durant les études. Elles doivent chercher à accompagner ces étudiants, en assouplissant leur agenda si besoin, pour les laisser travailler leur projet ou rencontrer des partenaires, clients ou investisseurs. Certes, cela se fera forcément au détriment de l’acquisition de certaines connaissances académiques, et donc in fine de la « valeur académique » du diplôme. Cependant, je suis convaincu que la perception actuelle de l’entrepreneuriat sur le marché du travail valorise plus fortement un jeune diplômé ayant eu une expérience entrepreneuriale, même infructueuse, et donc que la perception de la qualité d’enseignement de l’école n’en est que grandie.

Pour ces étudiants-entrepreneurs, la question des stages et des césures est également essentielle. C’est un temps rêvé pour développer à plein temps son projet. Cependant, les cursus ingénieurs sont parfois réticents à laisser leurs élèves vaquer à leurs occupations, alors que le but premier des stages est de découvrir le monde de l’entreprise ou de la recherche. On peut comprendre l’inquiétude légitime des écoles quant à la réelle découverte de la vie d’entreprise lorsque l’étudiant entrepreneur est seul à son bureau pour creuser son projet. Pour des projets faiblement avancés, il serait intéressant de pouvoir réfléchir à des conventions de stages mixtes, prévoyant un temps partiel en entreprise et un temps dédié au développement du projet de création d’entreprise. Dans tous les cas, je pense que si l’élève veut réaliser son stage dans sa propre start-up, il est important qu’il soit accompagné de très près par le département entrepreneuriat de son école qui pourra le conseiller. Dans le meilleur des cas, il pourrait être directement incubé par l’école. Cela permettra de lui donner le cadre nécessaire à la transmission des enseignements prévus par le stage en entreprise.

En parallèle, pour initier le plus grand nombre d’élèves à l’entrepreneuriat, il serait intéressant d’organiser sur une semaine un concours de start-up à l’échelle de l’école ou de la promotion. Cette semaine serait sanctuarisée et le concours serait noté comme un module d’enseignement. Ce concours pourrait être doté d’un vrai prix pour les vainqueurs, de façon à inciter même ceux qui ne présentent à priori aucun intérêt pour l’entrepreneuriat. Les équipes pourraient être mentorées par des chefs d’entreprises, qui en profiteraient pour partager leur expérience avec les élèves qu’ils accompagnent. Je crois que certaines écoles ont déjà intégré des projets similaires dans leurs cursus.

Je suis convaincu que les jeunes ingénieurs français doivent prendre la place qui est la leur dans l’écosystème entrepreneurial. Dans un contexte où beaucoup de grands groupes délaissent l’innovation de rupture de leur R&D pour se contenter de racheter des start-ups, il serait dangereux pour la capacité d’innovation française que les startups technologiques soient uniquement créées à l’étranger. Si les plus belles entreprises technologiques sont créées à l’étranger, elles draineront les meilleurs jeunes ingénieurs français (comme le font Google ou Facebook dans l’IA), et la France sera privée de ses meilleurs éléments pour créer ou faire prospérer les fleurons technologiques de demain.

Chercher à faire de tous les ingénieurs des entrepreneurs est inutile. Il faut sensibiliser les ingénieurs aux problématiques réelles de l’entrepreneuriat. Cela permettra d’accroître les créations d’entreprises par les ingénieurs, dans le but d’entretenir un écosystème technologique attrayant pour leurs camarades, et ne pas voir fuiter nos compétences à l’étranger.

Nicolas CRUAUD, Président – Néolithe