Financement de la perte d’autonomie, les propositions de la Chaire TDTE

2021 sera l’année du financement de la dépendance, les promesses du gouvernement vont en ce sens. Sur ce sujet débattu depuis plus de trente ans, la Chaire Transitions démographiques, transitions économiques a souhaité apporter une contribution globale qui prend en compte la prévention, l’assurance dépendance, l’aide aux aidants. Cette proposition tient compte de deux contraintes importantes de financement, la crise actuelle et les perspectives de faible croissance dans la prochaine décennie. Il faut noter que ces contraintes nous interdisent d’envisager une hausse de la CSG, compte tenu de son impact négatif sur la croissance, ou encore la hausse des cotisations sociales, au vu de son impact sur le coût du travail. Il nous faut donc trouver des moyens non conventionnels pour financer la perte d’autonomie.

On cherche à réduire le reste à charge des ménages les plus modestes et son inéluctable hausse à venir. En effet, ce reste à charge va rapidement augmenter dans les prochaines décennies et il est déjà de l’ordre de 10 milliards d’euros en 2020.

1 – Une politique très volontariste de réduction du risque de perte d’autonomie par le développement des activités socialisées

C’est un des enseignements les plus précieux de l’économie du bien-être repris et développé dans travaux de la Chaire (cf. L’Erreur de Faust, 2019, Paris) : améliorer le bien-être des seniors permet de retarder de manière significative l’entrée dans la dépendance. En effet, une activité sociale légèrement contraignante et altruiste, ou « activité socialisée », combinée avec une hygiène de vie et la continuité d’acquisition de connaissances permet de retarder l’entrée en dépendance de plusieurs années, ce qui revient de facto à diminuer fortement le coût de la dépendance.

La problématique est ici d’inciter massivement les seniors et jeunes retraités à s’investir dans des activités bénévoles auprès des associations. L’importance de l’enjeu incite à développer des politiques publiques spécifiques : formations universitaires de courte durée, « Erasmus des seniors », généralisation du mécénat de compétences aux branches professionnelles…

2 – Un renforcement des dispositifs actuels de la solidarité nationale pour les personnes en perte d’autonomie

Les politiques publiques actuelles représentent un engagement de 27 milliards d’euros par an. Au-delà de ces politiques publiques (APA,…) nous proposons deux solutions à mettre en œuvre de manière urgente :

- La création d’un revenu minimum universel des personnes âgées de plus de 82 ans et qui soit entre 1000 € et 1200 €. Cette population représente aujourd’hui 2,1 millions de personnes en 2020 et serait autour de 4,2 millions de personnes en 2050. Pour fixer les idées, l’âge moyen d’entrée en dépendance est de 83 ans et 15% de la population des plus de 85 ans vit en dessous du seuil de pauvreté. Ce revenu minimum universel serait par hypothèse plus étendu et plus généreux que le minimum vieillesse.

- La valorisation des patrimoines des ménages modestes en leur permettant de vendre leurs logements tout en restant dans les lieux avec des baux à vie et en payant une redevance inférieure aux montants des loyers sociaux. Des dispositifs de ce type sont en cours d’expérimentation dans les zones 1 (Paris et petite couronne) et 2 (grandes villes de province). L’étendre aux habitants de la zone 3 (reste du territoire) suppose une garantie de l’Etat pour rassurer les investisseurs. L’avantage de procédés de ce type est de permettre à des ménages qui ont une petite retraite de disposer de liquidités immédiatement pour faire face à des dépenses d’aménagement ou des dépenses liées à la dépendance.

D’autres dispositifs de solidarité nationale sont envisageables, comme :

- Le financement de l’assurance dépendance des personnes ayant peu de ressources.

- Le financement des aidants actifs. Ces aidants concilient une activité professionnelle ainsi qu’une activité d’aidant intensif (plusieurs heures par jour) et remplissent cette fonction indispensable, au détriment de leur revenu et/ou de leur santé. Il faudrait prévoir de compenser leur baisse de revenus à la hauteur d’une rémunération horaire au SMIC. Notre évaluation de ce coût est de l’ordre de 1 milliard d’euros par an.

- Le soutien au financement des Ehpad et le développement de réseaux d’Ehpad de proximité et de taille réduite, ainsi que le développement du maintien à domicile.

3 – Le développement d’une assurance dépendance obligatoire opérée par les mutuelles, instituts de prévoyance et compagnies d’assurance A cette fin, nous proposons d’instaurer une assurance obligatoire pour améliorer la situation financière des personnes dépendantes. Il faut savoir que déjà 7,41 millions de Français sont assurés contre le risque de perte d’autonomie. Concrètement, cette assurance permettrait d’augmenter l’aide aux personnes dépendantes, à savoir :

- 500 € mensuellement pour les GIR 1 et 2 (les plus sévères),

- 150 € mensuellement pour les GIR 3 et 4.

Ces montants amélioreraient considérablement la situation des individus dépendants ayant pour seule ressource leur retraite pour financer leur pension, surtout lorsqu’ils sont en GIR 1 ou 2.

Ce financement, estimé à environ 7,4 milliards pour 2020, reposerait sur une cotisation obligatoire à partir de 40 ans. Il permettrait de réduire d’autant le reste à charge des ménages.

Pourquoi un début de cotisation à 40 ans ? C’est à la fois l’âge où l’on prend souvent conscience du problème d’autonomie de ses parents ou grands-parents et où l’on est plus à l’aise financièrement. En outre, nous pensons souhaitable d’exonérer les jeunes actifs d’un prélèvement supplémentaire et de ne pas le faire supporter uniquement par les retraités, leur imposant une perte de revenus significative. Avec un début de cotisation à 40 ans, on obtient un financement sur une base large de 32,8 millions de personnes, les personnes en perte d’autonomie en étant exemptées.

Quelle cotisation ? Une cotisation forfaitaire maximale de l’ordre de 19 euros par mois (soit 0,9% du salaire moyen net et 1,2% de la retraite moyenne) par les plus de 40 ans permettrait d’assurer cette rente aux personnes dépendantes de GIR 1 à 4. Si cette mutualisation des risques se limitait aux GIR les plus sévères (1 ou 2), la cotisation forfaitaire mensuelle se limiterait à environ 11 euros. Les personnes aux faibles revenus ou retraites pourraient être exonérés de cette cotisation, celle-ci étant prise en charge au titre de nouvelles solidarités.

4 – La création d’un dispositif de réassurance publique de cette assurance obligatoire

Un tel dispositif aurait comme avantage :

- de permettre une normalisation des contrats d’assurance dépendance (primes, prestations…) ;

- de rassurer les sociétaires et actionnaires des mutuelles et compagnies en bornant les engagements, en cas d’explosion du nombre de personnes dépendantes ou de fortes augmentations des coûts liés à la dépendance et donc ainsi de réduire les primes demandées aux ménages ;

- de stabiliser le fonctionnement de l’assurance dépendance et donc de permettre à des investisseurs de se consacrer au développement des infrastructures nécessaires humaines et matérielles (formation et parcours de carrières des aidants professionnels, Ehpad de proximité, centres de ressources dans les communes, développement de réseaux de « caremanagement »…) ;

- d’introduire un étage de gouvernance publique audessus de l’assurance obligatoire qui assurerait la pérennité du système et sa conformité avec les politiques de solidarité développées, par ailleurs.

L’engagement de l’Etat serait ainsi significatif sans épuiser trop lourdement les ressources publiques sur ce sujet majeur de la Société du Vieillissement.

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La Chaire Transitions Démographiques, Transitions Économiques étudie depuis 10 ans, les rapports entre démographie et économie, elle est animée par Jean-Hervé Lorenzi et Alain Villemeur est son directeur scientifique.

François-Xavier ALBOUY, (Professeur Directeur de Recherche) et Chaire TDTE