La France, qui a inventé le mot, n’a jamais connu de crise des vocations d’entrepreneurs. En revanche, les entreprises que créent les Français parviennent moins bien qu’ailleurs à se transformer, même sur une ou plusieurs générations, en ETI, ou en grands groupes, en raison d’une sous-capitalisation structurelle pénalisant le franchissement de chacun des paliers de leur développement. C’est le résultat d’une addition de facteurs bien identifiés et qui a produit l‘essentiel de notre désindustrialisation depuis la fin des années 1990 : fiscalité excessive sur les entreprises et leurs actionnaires, coût élevé et surrèglementation du travail ; climat soupçonneux permanent, ayant, avec le principe de précaution, valeur constitutionnelle. Une « exception française » qu’on retrouve bien ancrée dans les comportements des ménages qui se défient des entreprises et partagent leur épargne entre un Etat vorace et le refuge immobilier.

Du coup, les entreprises sont, en France, confrontées à des taux de marge (Excédent Brut d’Exploitation (EBE)/ Valeur ajoutée) plus faibles et à un endettement plus élevé qu’ailleurs. Avant le déclenchement de la crise sanitaire, l’endettement des entreprises atteignait 74% du PIB contre 41% en Allemagne, et 6,7 fois leur EBE contre 3,3 en Allemagne. Une situation évidemment amplifiée par la crise sanitaire, laquelle se double d’un paradoxe : une trésorerie confortable qui masque une solvabilité laminée par la crise, avec, pour l’ensemble des entreprises, un résultat net négatif en 2020 - du jamais vu depuis 1984- et des fonds propres lourdement amputés. Dès lors, les risques d’effondrement ne nous guettent pas tant que dure la crise – comme le montre le recul des défaillances en 2020 – mais bien après, quand la marée des aides se retirera : il faudra alors supporter le poids du retour à la normale avec la hausse des besoins d’exploitation liés à la reprise.

Autant dire que le défi de la sortie de crise réside tout entier dans la reconstitution des fonds propres. Il n’est guère raisonnable de demander aux banques d’augmenter significativement leurs risques sur des bilans fortement dégradés. Il ne faut pas, non plus attendre le salut du capital investissement qui, malgré ses 20 Md€ de fonds propres alloués annuellement à un peu plus de 2000 entreprises, n’a pas vocation, quitte à accepter des valorisations plus élevées, à se détourner de sa raison première. Et il est illusoire de penser que les fonds labélisés, face à l’empilement des difficultés pratiques, s’écarteront des critères traditionnels d’investissement.

Dès lors, c’est dans les 120 Md€ stockés dans les bas de laine des ménages, et dans une certaine désintermédiation de leurs placements, que se trouve une part importante de la solution. C’est pourquoi ETHIC qui n’a cessé de plaider pour que l’épargne des ménages soit davantage tournée vers les entreprises propose la mise en œuvre d’une incitation fiscale simple et puissante : porter de 25 à 50% le taux actuel de réduction d’impôt sur le revenu et le plafond de 100.000 à 200.000 euros par foyer fiscal, pour les fonds investis dans les TPE-PME. La mesure serait ouverte aux dirigeants d’entreprises, actuellement exclus de son bénéfice, et étendue aux apports en comptes courants bloqués pendant cinq ans. L’avantage fiscal serait identique que l’investissement soit direct ou effectué via des fonds d’investissement, ou sous forme de livrets ouverts dans les banques. La possibilité de cumuler, voire de lier, investissements directs et indirects constituerait un effet de levier important sur des apports en capital complémentaires provenant de tiers et sur des financements bancaires.

Les crises accélèrent l’Histoire, rappelait Lénine. Par son urgence et son ampleur, la crise du COVID peut ouvrir les yeux des Français sur la nécessité d’orienter davantage et durablement, une part plus importante de leur épargne en faveur des entreprises. C’est l’occasion de prendre conscience qu’il n’y a pas d’entrepreneurs sans capital et que d’eux, non de l’Etat, dépendent leurs emplois et leur niveau de vie.

Sophie de MENTHON, Présidente ETHIC

Alain FABRE, Responsable Etudes économiques ETHIC