Le budget vert français est né très récemment. Il résulte d’un processus de réflexion au sein de l’Assemblée nationale lancé au lendemain de la crise des gilets jaunes. Très vite, l’Union européenne s’est saisie de ces travaux notamment dans le cadre de l’élaboration du Pacte vert européen. A l’occasion de la Présidence française de l’Union européenne (PFUE), une initiative est déjà annoncée. Dans un communiqué datant du 9 mars 2022, le Ministre délégué chargé des Comptes publics français, Olivier DUSSOPT et le Commissaire européen au budget, Johannes HAHN, affirment leur volonté de travailler ensemble pour renforcer la coopération sur ce sujet et favoriser l’émergence de pratiques communes à l’échelle européenne.

Répondant à la demande de transparence des gilets jaunes concernant les dépenses dédiées à la transition écologique dites « dépenses vertes » ou « dépenses favorables à l’environnement », les parlementaires votent en loi de finances pour 20191 la création d’une annexe au budget national visant à répertorier toutes les dépenses de l’Etat considérées comme des dépenses vertes et les recettes qualifiées de « fiscalité écologique ». Dès l’été 2019, à l’occasion de la loi énergie-climat, les parlementaires vont plus loin.

Considérant que l’annexe budgétaire « rapport sur le financement de la transition écologique : les instruments économiques, fiscaux et budgétaires au service de l’environnement et du climat » ne suffit pas à déterminer si le budget de l’Etat est en adéquation avec les objectifs environnementaux nationaux, européens et internationaux que la France s’est donnée et en particulier avec les Accords de Paris, les parlementaires décident de créer un budget vert2.

Le budget vert vise à passer au crible toutes les dépenses de l’Etat et à déterminer les dépenses ayant un impact favorable sur l’environnement (« dépenses vertes »). Il analyse également les dépenses ayant un impact défavorable sur l’environnement (« dépenses marrons »). Ces dépenses marrons peuvent être le témoignage que l’action de l’Etat n’est pas suffisante pour atteindre ses objectifs environnementaux et qu’il se situe dans les mauvaises trajectoires pour assurer la nécessaire transition écologique.

Le budget vert ne doit pas être un simple outil de communication visant à se gargariser que le budget de l’Etat français contiendrait x milliards de dépenses vertes. Quel est l’intérêt si, autant, voire plus de dépenses marrons sont identifiées ? Le budget vert doit être un outil au service de l’action. Il doit servir à élaborer des stratégies et des trajectoires de sortie des dépenses marrons. Une fois ces dépenses marrons identifiées, l’Etat doit engager un processus de discussion avec les parties prenantes qui en bénéficient et voir comment verdir ces dépenses. Le budget vert est également un outil d’auto-régulation pour l’Etat dans la construction de son budget. Par exemple, dans le cadre de l’élaboration du plan de relance français en 2020 au cœur de la crise sanitaire covid-19, l’existence du budget vert a permis de limiter la création de dépenses marrons nouvelles et d’inciter l’Etat à orienter une grande partie des dépenses du plan de relance vers la transition écologique (30 milliards sur 100).

S’appuyant sur la taxonomie européenne et répondant à une volonté des parlementaires d’analyser l’impact des dépenses de l’Etat non pas seulement à l’aune des objectifs climatiques mais également des autres objectifs environnementaux, chaque dépense est analysée autour de 6 axes environnementaux : l’action contre le changement climatique, l’adaptation au changement climatique et la prévention des risques naturels, la gestion de la ressource en eau, l’économie circulaire, les déchets et la prévention des risques technologiques, l’action contre les pollutions, la biodiversité et la protection des espaces naturels, agricoles et sylvicoles.

L’Union européenne a saisi l’opportunité de cette innovation française pour en faire un axe important du Pacte vert européen. Dès sa communication de décembre 20193, la Commission européenne insiste sur le fait que « les budgets nationaux jouent un rôle essentiel dans la transition. Un recours accru aux outils de budgétisation verte aidera à réorienter les investissements publics, la consommation et la fiscalité vers les priorités vertes et à renoncer aux subventions nuisibles. La Commission collaborera avec les États membres pour examiner attentivement et comparer les pratiques en matière de budgétisation verte. Il sera ainsi plus aisé d’évaluer dans quelle mesure les budgets annuels et les plans budgétaires à moyen terme tiennent compte des considérations environnementales et des risques pour l’environnement, et de tirer les enseignements des meilleures pratiques ».

À la suite de cette communication plusieurs travaux ont été menés par la Commission européenne dont un premier travail de revue des pratiques des Etats membres qui se rapprochent d’une budgétisation verte. Cette revue a été publiée en mai 20214. Il en ressort que si certains Etats membres répertorient les dépenses publiques vertes, très peu identifient les dépenses ayant un impact défavorable sur l’environnement. Seule la France dispose d’une méthodologie robuste en la matière à travers le budget vert. La Finlande, l’Italie et l’Irlande disposent de documents budgétaires qui identifient des subventions et autres formes de dépenses qui peuvent avoir un impact défavorable sur l’environnement mais sans que ce soit une analyse précise dépense par dépense comme c’est le cas dans le budget vert français.

À la suite de cette première revue, un document commun à la Commission européenne, au Fond Monétaire International et à l’OCDE a été publié en novembre 2021 « Green budgeting : toward common principles »5. En introduction, ce document rappelle l’importance de l’outil budgétaire pour mener une politique ambitieuse en faveur de la lutte contre le changement climatique, s’y adapter et accompagner la transition. Il vise à s’appuyer sur les travaux existant dans les différents Etats membres et ayant fait l’objet de la revue précédemment mentionnée pour tenter d’élaborer des principes communs pour les Etats membres qui souhaiteraient s’impliquer dans une telle démarche.

Comme mentionné en introduction, la dernière initiative en date au sein de l’Union européenne dans le cadre de la PFUE, prévoit de renforcer la coopération des Etats membres sur le budget vert et favoriser l’émergence de pratiques communes à l’échelle européenne. Un programme d’échange entre fonctionnaires nationaux et européens, pour partager les bonnes pratiques de chaque administration sera créé. Pour sa part, la Commission Européenne, dans le communiqué de presse commun entre le ministre du budget français et le commissaire européen en charge du budget indique qu’elle « travaille actuellement sur une révision de sa méthodologie de cotation environnementale, qui devrait être présentée aux États membres dans le cadre de son prochain projet de budget, et se dit prête à associer ces derniers à ses futures réflexions méthodologiques ». Cette annonce est à saluer et il faut espérer que cette révision de la méthodologie implique des réflexions autour de la cotation marron des dépenses de l’Union européenne. En effet, les limites identifiées par les parlementaires français d’une simple cotation des dépenses vertes sont les mêmes pour le budget européen même si on peut considérer que la mise en œuvre de la méthodologie est bien plus complexe pour le budget européen.

S’il existait déjà plusieurs initiatives et formes de budgétisation vertes avant 2019 dans le monde, le moment « gilets jaunes » en France a donné l’occasion à la France de lancer des travaux extrêmement ambitieux en la matière. Ces travaux sont d’ailleurs reconnus au niveau européen et à l’international. Les pistes d’amélioration sont nombreuses comme par exemple celles liées à la gouvernance et au recours à un tiers indépendant pour certifier ce budget vert et garantir la fiabilité de ce document budgétaire. Interrogée par le Parlement sur ce point, la Cour des comptes s’est dit prête à jouer un rôle en la matière.

Bénédicte PERYOL, Ex députée de l'Allier