Entreprendre au XXIème siècle

Les nouveaux entrepreneurs

Ce même pays, la France, qui dans les années ’90 avait 75% des jeunes qui voulaient devenir fonctionnaires et avoir la garantie d’un poste de travail à vie, accueille aujourd’hui le plus grand incubateur du monde, Station F, avec environ 50.000m² et plus de mille startups.

Chaque école qui se respecte, et pas que les grandes écoles de commerce ou d’ingénieurs, se doit d’avoir son incubateur. Les jeunes français se sont découvert la vocation de l’entrepreneuriat et mènent leurs projets avec efficacité, compétence et enthousiasme, prouvés par les nombreuses réussites récentes. C’est une révolution positive.

A chaque époque ses codes. Aujourd’hui, finis les cravates et les costumes bien coupés, pour être admis dans un incubateur, ce sera plutôt tee-shirt noir, jeans et basquettes blanches, avec petites variations pour les plus anticonformistes. Avec un brin de caricature et au risque de lèse-jeunesse, le start-uppeur type est : écologiste, sportif, hyper-positif, préfère le vélo au cabriolet, ne craint pas les concepts disruptifs, aime parler anglais, vise le monde, grâce à une forte complémentarité il a créé des liens supersolides entre actionnaires, il parle d’une série D avant d’avoir réalisé le première vente, il a un super projet personnel à côté du projet professionnel.

Sans pouvoir accéder directement aux dizaines de millions de dollars des startups américaines, les jeunes entreprises françaises ont cependant leur réseau de financement efficace. Au-delà des business angels et des fonds d’amorçage, en formule réduite des équivalents américains, ils peuvent accéder à plusieurs supports de financement : CIR et JEI (Crédit Impôt Recherche et Jeune Entreprise Innovante), BPI (Banque Publique d’Investissement), aides régionales, différents prix décernés aux entreprises innovantes, prêts d’honneur, utilisation du chômage et même du love money (des aides familiales), car aujourd’hui prendre des risques et entreprendre c’est bien vu, c’est une source de fierté et tout le monde est prêt à aider. Les taux d’intérêts à zéro et les déductions fiscales font le reste.

Les changements par rapport à la fin du siècle dernier sont énormes et sont accompagnés d’une révolution technologique qui a transformé la manière d’entreprendre. Au début du siècle Google ne faisait que balbutier, les smartphones c’était encore de la science-fiction (le premier Iphone est sorti en 2007 !), les clouds ne servaient qu’à faire de la pluie, les big-data … je ne sais pas de quoi vous me parlez … et l’intelligence artificielle léchait encore ses blessures des échecs passés, loin de devenir l’outil de suivi de nos habitudes au quotidien.

Lorsque, à cheval des deux siècles, j’avais voulu accélérer l’internationalisation de mon entreprise, créée en début des années 90, pour aller faire une réunion aux Etats Unis, côte Est, et rencontrer deux clients, il fallait prévoir une semaine, et pour un court RV à Milan, environ 1.000€ de billet d’avion, en économique, sachant que la différence de prix avec la «  business  » n’était cependant que de 50€.

À l’époque, j’avais demandé à un consultant américain de faire un audit dans l’entreprise pour la préparer à cette accélération internationale. Le résultat fut sans appel : Lucio, me dit-il, le projet international n’intéresse personne, c’est le tien, tes managers sont contents de travailler en France, d’ailleurs ils ne parlent pas anglais et la France leur suffit largement. Nous n’étions pas une exception, on faisait partie de le génération pré-internet.

Finance versus entreprise

Les nouveaux entrepreneurs n’ont pas peur d’afficher leur goût pour l’argent et ils peuvent trop souvent être conduits à penser valorisation rapide de leur entreprise versus un projet de long terme.

C’est un sujet que j’aborde souvent avec les jeunes entrepreneurs que j’ai l’occasion de rencontrer dans les incubateurs. Je ne crois pas que l’objectif de valoriser rapidement soit du meilleur conseil. L’entreprise doit rester une aventure professionnelle et humaine de long terme, bien que sa valorisation soit essentielle pour réaliser les levées de capitaux nécessaires à son développement. L’esprit d’entreprendre doit rester intact et l’exemple du « serial-entrepreneur » n’est pas nécessairement du meilleur goût. D’abord parce que l’origine du mot ne me donne pas envie, j’ai l’impression de tuer des entreprises (ce qui est peutêtre vrai d’ailleurs), ensuite parce que la création de plusieurs entreprises pour les vendre rapidement n’est pas un vrai métier d’entrepreneur, mais plutôt celui d’un financier, certes brillant et capable d’aller sur le terrain sans rester à regarder les autres faire ; avec tout le respect pour les métiers de la finance, indispensables au développement des entreprises.

Le gain à court terme est une tentation difficile à combattre, mais ce n’est pas nécessairement un bon calcul. Et, si on veut aller dans ce sens, il faut alors que le jeu en vaille la chandelle avec un gain immédiat suffisamment consistent pour passer le reste de sa vie à s’occuper de projets humanitaires, d’art, ou encore d’aider d’autres entrepreneurs à réussir.

Plus d’opportunités mais aussi de risques

Les entrepreneurs d’aujourd’hui, peu importe leur âge, ont beaucoup plus d’opportunités qu’il y a vingt ou trente ans, mais ils doivent être conscients de la nécessité de transformation continue nécessaire au succès. Il n’est jamais possible de se reposer sur des lauriers en pensant qu’une position forte dans un domaine protège l’entreprise d’une concurrence agressive. À tout moment, l’innovation peut être fatale pour les entreprises avec pignon sur rue qui risquent de réagir lentement. Dans beaucoup de métiers, et pas que dans les entreprises de technologie, penser au futur en fonction de ce qui a fait le succès hier, est un risque significatif.

J’avais l’habitude de demander, dans nos comités de management, de payer un euro d’amende lorsqu’on voulait expliquer une décision ou une proposition avec un exemple du passé.

C’est un bon principe dans presque toutes les entreprises, confrontées aujourd’hui à la double menace des progrès très rapides de la technologie et de la concurrence mondiale, directe ou indirecte, en entendant par concurrence indirecte celle de produits alternatifs qui remplacent ceux vendus par l’entreprise.

Il vaut mieux innover que subir et une des conséquences de la vitesse rapide des changements est la difficulté pour d’anciens managers à se reconvertir et ne pas se laisser dépasser par la vitesse des progrès. Dans de nombreuses entreprises, cela va devenir de plus en plus un réel sujet de préoccupation.

Lucio de RISI CEO, Mega International