Les enjeux de la Présidence française du Conseil de l’Union européenne dans les paiements

L e 1er janvier 2022, la France a pris la Présidence du Conseil de l’Union européenne et cela doit être l’occasion de donner à l’Europe une formidable impulsion, et de la préparer aux défis actuels et futurs. Durant cette Présidence, la France a certes d’abord un rôle de médiateur, pour permettre l’arbitrage des décisions du Conseil européen des chefs d’États et de gouvernement, mais elle a aussi un pouvoir d’orientation des travaux européens sur des sujets majeurs.

La France a défini un programme complet1 incluant un fort volet numérique, et bien au-delà des paiements. Plusieurs chantiers importants restent sur la table, et notamment l’Union bancaire et la régulation des géants du numérique. Mais dans les paiements, déclarés stratégiques en septembre 2020 par la Commission Européenne, via la Retail Payments Strategy (RPS), il y a un vaste chantier, qu’il faudrait poursuivre et développer, et qui pourrait s’étendre sur la décennie à venir.

La France prend cette Présidence a un moment clé de l’histoire européenne, et à un tournant, qui marquera pour longtemps le futur de l’Union Européenne.

Le moment clé, ce sont les vingt ans de l’euro. L’euro est devenu « un des plus précieux symboles de l’unité européenne », comme l’a déclaré Mme Lagarde, et c’est un symbole partagé par chacun. Et il fallait donner une suite à l’euro, et c’est le SEPA. Nous fêtons en même temps, les vingt ans de la création du SEPA et les dix ans du Règlement SEPA, et les progrès réalisés sont importants. Il est maintenant temps de donner une perspective nouvelle à l’Europe des paiements. C’est l’objet de la RPS qu’il faut mettre en œuvre et prolonger.

Le tournant, c’est une double prise de conscience : en Europe, par les dirigeants européens, que la Souveraineté Européenne est en jeu dans les paiements, notamment via les transferts de données dans d’autres zones monétaires ; et hors d’Europe, par les gouvernements américains ou chinois, mais aussi par les grands acteurs économiques internationaux, GAFAs et autres BATX, et par les Banques américaines ou asiatiques, que le marché européen est un marché majeur et que c’est là que leur compétition entre eux va avoir lieu. L’Europe est devenu le champ de bataille, et les gouvernements européens veulent désormais défendre leur pré carré.

L’Europe des paiements a en effet de nombreux atouts : c’est un marché de 500 millions d’habitants, disposant de banques fortes et nombreuses et de systèmes de paiement parfois à la pointe de l’innovation et de la résilience, et même de la lutte contre la fraude, comme en France, où elle a baissé pour la première fois cette année. Et que c’est un marché qui est en cours d’organisation, avec une innovation forte et des potentiels de croissance importants.

Mais l’Europe a une faiblesse majeure : c’est un patchwork de systèmes et de marchés domestiques, dominé par quelques schémas de carte internationaux (ICS) et des Big Techs américaine ou chinoises.

Les défis sont dès lors multiples : il s’agit donc (1) de parachever l’intégration du marché, (2) de généraliser le digital, (3) de sécuriser les transactions et (4) d’assurer si ce n’est la souveraineté européenne dans les paiements, au moins une « autonomie stratégique ouverte », pour ne pas se fermer aux innovations mondiales, qui sont nombreuses.

1. L’intégration du marché européen, c’est en faire un marché unique et non simplement unifié, ce qui était déjà l’objectif du SEPA il y a dix ans : « Single Euro Payments Area », mais c’est également faire apparaître des acteurs industriels et bancaires paneuropéens, à même de participer au grand marché mondial dans les paiements.

Et pour atteindre cet objectif, il y a trois caps à franchir :

Premier cap : Confirmer le virage stratégique de la politique concurrentielle par l’adoption d’une politique concurrentielle proportionnée mais moins « naïve » par rapports aux autres zones économiques et monétaires, et plus ferme, notamment à l’égard des Big Techs, et qui autorise d’une part des « business models » viables en Europe et d’autre part, des consolidations industrielles et bancaires.

Deuxième cap : Poursuivre l’Union bancaire, l’Union des marchés de capitaux et la consolidation industrielle, pour faire naître des champions bancaires et industriels qui soutiendront l’affirmation de la souveraineté européenne, et des licornes qui apporteront un complément d’innovation, mais aussi pour disposer d’un grand marché financier permettant de donner à l’Europe les moyens de son ambition, parallèlement au renforcement des incitations au financement de l’innovation.

Troisième cap : Promouvoir une Europe des paiements sans couture, notamment en matière de maîtrises des risques. Avec la DSP1 et la DSP2, l’Europe constitue déjà un modèle pour beaucoup. Mais, il faut en faire le bilan pour préparer le futur. Et il faut renforcer les règles qui gomment les limites domestiques, notamment en matière de sécurité et de lutte contre la fraude.

2. Généraliser le digital, c’est à la fois poursuivre la digitalisation des paiements scripturaux, mais c’est aussi donner toute son impulsion à l’euro digital, à l’Instant Payment, et au projet EPI.

Pour l’euro digital, il ne s’agit pas ici, exclusivement de l’euro digital central, ni de l’euro digital de détail, mais aussi de l’euro digital de gros, entre les professionnels, pour l’interbancaire et les paiements internationaux, et de l’euro digital commercial, qui pourrait être émis par les banques. France Payments Forum est favorable à l’adoption d’un scénario pour le développement à 10 ans de l’euro digital sous toutes ses formes, en complément des paiements scripturaux digitalisés.

Pour l’Instant payment, l’objectif est d’en faire le « New normal », un moyen de paiement universel et moderne, sans chercher à l’opposer à la carte bancaire, qui a poursuivi sa rénovation avec le sans contact et offre de belles perspectives de développement à moyen terme.

Et EPI est un projet stratégique, souhaité par les Pouvoirs publics, et mis en œuvre par les banques, avec le soutien de certains industriels. C’est un projet difficile, mais c’est un projet incontournable, qui fera avancer d’un grand pas l’Europe vers sa souveraineté dans les paiements.

3. Sécuriser les transactions, c’est poursuivre sur la voie de la lutte contre la fraude et le blanchiment, par l’authentification forte, mais c’est avancer aussi résolument vers l’identité numérique et vers la signature électronique avancée et qualifiée, et c’est enfin se préparer aux défis demain qu’ouvre le quantique.

4. Enfin, assurer une « autonomie stratégique ouverte », c’est d’abord se donner les moyens de contrôler les acteurs internationaux qui agissent en Europe, notamment dans le numérique, et dans ce domaine, plusieurs textes règlementaires sont en cours d’adoption, comme le règlement MiCA sur les cryptoactifs, et les Directives DSA et DMA, et il faut obtenir leur adoption définitive. Mais il faut préparer également la phase suivante, en faisant de l’Europe, à défaut du « premier territoire technologique mondial », comme l’a proposé Cédric O, au moins un territoire compétitif et leader au plan mondial.

La Présidence française a donc du pain sur la planche et ce sera donc un grand moment, même s’il est finalement bref. Elle doit être l’occasion d’avancées majeures vers une autonomie stratégique, ouverte aux innovations qualitatives. France Payments Forum va accompagner le mouvement et a organisé le 24 mars 2022, avec ses partenaires, Paris Europlace et Finance Innovation, un grand événement pour une Europe digitale compétitive, innovante et sans frontière, dans la finance et les paiements.

Article rédigé avant l’invasion de l’Ukraine par les armées russes.

1/ Programme de la Présidence française du Conseil de l’Union européenne - Ministère de l’Europe et des Affaires étrangères (diplomatie.gouv.fr)

Hervé SITRUK, DG MANSIT, Président-Fondateur FRANCE PAYMENTS FORUM