MINES ParisTech – PSL ou l’esprit d’entreprise en train de se faire

Depuis les années 1980, l’École des Mines de Paris (ou MINES ParisTechPSL) connaît un fort développement de l’activité entrepreneuriale de ses chercheurs et diplômés. Ces dix dernières années, une cinquantaine d’entreprises ont été créées en lien fort avec l’École. Une quinzaine par des chercheurs ou doctorants sur la base de leurs travaux de recherche, les trente-cinq autres par des ingénieurs (pour les deux-tiers pendant ou juste après leur diplôme, et pour le tiers restant après une première expérience professionnelle). Parmi les start-ups les plus prometteuses, on trouve Expliseat, DNA Script, Toucan Toco, Yespark et Big Blue, sociétés qui ont été lauréates du Prix Entrepreneuriat Mines ParisTech Criteo parrainé par la Fondation Mines ParisTech. Ces sociétés ont aussi toutes levé des fonds (par exemple près de cent millions d’euros pour DNA Script auprès de sociétés de capital-risque françaises, européennes et nord-américaines). Parmi les trente-cinq entreprises fondées par des jeunes diplômés, quatre seulement l’ont été par des ingénieures. Parmi elles, une réussite exemplaire, Nest for All, créée par Khadidiatou Nakoulima (P06) qui est un réseau de dispensaires et maternités pour femmes enceintes en Afrique de l’Ouest. Des efforts spécifiques sont déployés ces dernières années pour soutenir les ingénieures qui souhaitent créer une entreprise commencent à porter leurs fruits.

Plus de la moitié des ingénieurs civils créateurs d’entreprise ont suivi l’option Innovation et Entrepreneuriat, formation délivrée en troisième et dernière année. Ce type de formation a une longue histoire : le premier cours d’entrepreneuriat a été donné à Harvard en 1947. Ces vingt dernières années, les formations universitaires en entrepreneuriat ont connu une croissance exceptionnelle : ainsi aux États-Unis, plus de trois mille institutions proposent de tels programmes. Cette multiplication des enseignements touche maintenant l’Europe et la France et devrait se poursuivre dans les années qui viennent. Elle est liée à la forte croissance du nombre d’entreprises créées par des étudiants*.

Les institutions d’enseignement supérieur et de recherche, leaders du domaine, ont adopté une définition large de l’entrepreneuriat et donc des enseignements qui lui sont liés. Il ne se résume pas à la création de nouvelles entreprises, mais concerne plus largement la création de nouvelles activités et le développement de nouveaux projets dans des contextes organisationnels variés. Cela peut se produire dans des start-ups mais aussi dans des entreprises existantes, des organisations publiques, le monde associatif, l’université… Cette définition large est celle qu’a adoptée la recherche académique internationale en entrepreneuriat. C’est celle qu’utilisent des institutions comme l’Université de Stanford ou l’Imperial College : “We believe that engineers and scientists need entrepreneurial skills to be successful at all levels within an organization. We prepare students for leadership positions in industry, universities, and society” (Stanford Engineering School). “Whether embarking on a new venture or incorporating entrepreneurial thinking into the management of existing organizations, an understanding of the principles of entrepreneurship is indispensable” (Imperial College Business School London).

Prendre en compte cette définition large, c’est reconnaître que l’objectif premier de la formation à l’entrepreneuriat n’est pas de donner naissance à des startups, même si l’École des Mines apporte son soutien total pendant leurs études ou juste après leur diplôme aux élèves qui souhaitent se lancer dans un projet de création d’entreprise. L’objectif de la formation à l’entrepreneuriat est d’apporter aux élèves les connaissances et les compétences entrepreneuriales qui leur seront de plus en plus nécessaires dans leur avenir professionnel, quel que soit le secteur ou la fonction qu’ils occuperont. Il s’agit de les doter d’une pensée, d’une méthode et de processus - basés sur des travaux scientifiques - qui leur permettent de comprendre et d’agir sur les problèmes qu’ils ou qu’elles vont rencontrer. La formation doit les aider à prendre cette responsabilité qu’ont les ingénieurs de résoudre des problèmes très variés.

La réforme du cycle Ingénieur Civil a introduit en première et deuxième année, des enseignements d’entrepreneuriat qui n’existaient pas. Elle a également renforcé les options de troisième année, dont celle consacrée à l’Innovation et Entrepreneuriat. La caractéristique commune de ces enseignements, c’est leur pédagogie centrée sur l’apprentissage par l’expérience. À chaque fois, les élèves développent un projet. C’est-à-dire construisent une proposition de valeur pour des utilisateurs ou un marché cible, interagissent avec les futurs partenaires ou clients, développent un prototype de leur produit ou service, imaginent un modèle de revenu. À chaque fois, le mot clé est « l’action » ; les élèvesingénieurs sont placés dans une situation où ils et elles ne vont pas penser d’abord pour agir ensuite ; mais où ils vont agir pour penser. Un autre mot clé est « le terrain », les élèves doivent rencontrer et discuter avec le maximum de personnes qui d’une façon ou une autre sont concernées par leur innovation (clients, fournisseurs, partenaires, etc.). Nous présentons cidessous ce nouvel enseignement de première année car il est emblématique de ces choix pédagogiques.

En première année, une semaine Entrepreneuriat se déroule du lundi au vendredi. Elle est suivie par toute la promotion de 130 élèves. Tous les matins, la journée démarre par une conférence sur l’entrepreneuriat qui réunit toute la promotion, puis par une présentation des objectifs et des outils du jour. Les élèves sont répartis en six pôles thématiques : santé, ville et mobilité, éducation, énergie, alimentation, culture et sport. Au sein de chaque pôle, quatre équipes travaillent sur quatre problèmes différents. Ces problèmes sont très larges, c’est aux élèves de bien les comprendre puis d’imaginer une solution. En voici trois exemples : Chaque année en France, près de 10 millions de tonnes de nourriture consommable sont gaspillées, soit l’équivalent de 150 kilos par habitant et par an (pôle Alimentation) ; La croissance des équipements, des objets connectés, des usages, du stockage, du trafic et des data centers fait exploser la consommation énergétique du numérique (pôle Énergie) ; Le passage d’un moyen de transport à un autre (train, RER, bus, métro, vélos et trottinettes électriques) est difficile. L’interconnexion urbaine est un problème (pôle ville et mobilité)

Chacun des pôles est sous la responsabilité d’un coordinateur ou une coordinatrice (ancien élève de l’école généralement entrepreneur) qui est là à temps plein toute la semaine et qui a été formé aux outils et processus utilisés au cours de cet enseignement. Pendant la semaine, d’autres jeunes anciens jouent le rôle de mentors et aident plus ponctuellement les équipes. Grosso modo, les élèves partent d’un problème, ils doivent le comprendre (en interrogeant par exemple des personnes qui rencontrent ce problème). Puis ils construisent une solution qu’ils matérialisent par un prototype très simple qu’ils testent auprès de futurs utilisateurs. Au cours de nombreuses interactions, le projet évolue et se transforme. En fin de semaine, au sein de chaque pôle, les quatre projets sont présentés sous forme d’un pitch et débattus avec un jury composé de deux experts qui en sélectionnent un pour la finale. Le vendredi en fin d’après-midi, les six projets sélectionnés sont présentés devant toute la promotion dans le grand amphi de l’École et un grand jury - trois anciens élèves-entrepreneurs qui se sont particulièrement distingués – choisit le gagnant (la Fondation Mines ParisTech offre à l’équipe lauréate un bon d’achat FNAC). Pendant que le jury délibère, l’ensemble des élèves vote également pour désigner le projet « coup de cœur de la promotion ».

Cet enseignement est un peu déroutant pour les élèves qui six mois plus tôt étaient en classe préparatoire et qui n’avaient jamais entendu parler de ces questions… mais aussi parce que ces méthodes pédagogiques sont radicalement nouvelles pour eux (aller interviewer des inconnus dans la rue, téléphoner à des anciens dans tel ou tel secteur, contacter des dizaines de personnes sur LinkedIn, etc.). Cette formation, en mode hybride, est possible en cette période de COVID grâce au système d’enseignement à distance mis en place aux Mines de Paris et à la répartition des élèves dans de nombreux espaces permettant le suivi des règles sanitaires. Mais aussi grâce à l’engagement de près de trentecinq anciens élèves du monde de l’entrepreneuriat qui, marquant ainsi leur fidélité à l’École, interviennent au cours de cette semaine.

En deuxième année, les élèves qui souhaitent développer un projet de création d’entreprise peuvent choisir le trimestre entrepreneuriat qui leur fournira non seulement un espace - la Bulle électrique - mais aussi un accompagnement et des mises en relation. Enfin, en troisième année, l’option Innovation et Entrepreneuriat apporte à celles et ceux qui la suivent de nombreux enseignements académiques et pratiques sur l’entrepreneuriat, leur permet de rencontrer de nombreux acteurs de l’écosystème entrepreneurial et, au cours d’un stage long de fin d’études, soit de développer leur propre projet, soit de rejoindre une start-up, une société de capital-risque ou parfois même un grand groupe développant des activités intrapreneuriales.

Enfin, l’appartenance de MINES ParisTech à l’Université PSL (Paris Sciences Lettres) – l’Ecole des Mines est un de ses onze établissements – offre à ses élèves la possibilité d’accéder à presque tous les domaines du savoir, de l’innovation et de la création en sciences, sciences humaines et sociales, arts, ingénierie. Mais aussi à son Pôle entrepreneuriat étudiant qui non seulement apporte de nombreuses compétences et de nombreux services d’accompagnement aux étudiants entrepreneurs mais qui leur offre aussi la possibilité d’être hébergés dans un espace de coworking - le PSLLab - et donc d’échanger et d’interagir avec de nombreuses équipes-projets et jeunes entrepreneurs issus des différents établissements de PSL.

*Student Start-ups: the new landscape of academic entrepreneurship, M. Wright, Ph. Mustar and D. Siegel, World Scientific, 2020

*L’entrepreneuriat en action. Ou comment de jeunes ingénieurs créent des entreprises innovantes, Ph. Mustar, Presses des Mines, 2020

Philippe MUSTAR, Professeur d’innovation et d’entrepreneuriat à MINES ParisTech – PSL