Moneta : pris au jeu !

Je ne me souviens pas avoir rencontré d’entrepreneurs avant d’entrer dans la vie professionnelle. Ni dans ma famille, ni dans celle de mes amis ou des amis de mes parents, ni dans ma scolarité ou mes stages. J’étais pourtant passé par l’ESSEC et avais travaillé au Poste d’Expansion Economique français de New-Delhi. Le mot « start up » et les cours d’entrepreneuriat ne devaient pas encore exister... Certes il y avait bien une junior entreprise à l’école qui a révélé quelques vocations d’entrepreneurs. Pour ma part, passionné depuis très jeune par la bourse, j’y avais créé un club d’investissement. J’ai activement participé à la collecte de la taxe d’apprentissage de notre école après une formation commerciale accélérée. Cette expérience m’a servi à vendre des « missions export » et partir en Finlande, Hong Kong, Singapour et Bangkok. J’étais entreprenant, mais pas entrepreneur !

Près de 20 ans plus tard, après 4 années dans un cabinet d’audit et 15 ans comme analyste financier à Paris chez Cholet Dupont, puis à Londres avec Paribas et JP Morgan, les choses avaient changé. L’entrepreneuriat était devenu monnaie courante dans le secteur financier. A Londres, les hedge funds s’étaient développés à côté des sociétés de gestion traditionnelles. C’étaient aussi des clients. Certains de mes amis s’étaient lancés et j’ai compris que ce n’était pas si difficile.

J’avais aussi bien gagné ma vie et obtenu une reconnaissance professionnelle qui avait renforcé ma confiance en moi et me suffisait. Le métier d’analyste était toujours passionnant mais devenu très contraignant. Ma passion était d’essayer de comprendre les différents métiers des sociétés cotées, de juger de l’opportunité d’y investir, mais me déplacer pour présenter mes analyses aux gérants des grandes places financières pour continuer à être reconnu comme analyste star était devenu pesant.

Depuis quelques années, je relisais régulièrement « Beating the Street », où Peter Lynch, gérant star de Fidelity des années 80, explique son métier de dénicheur de valeurs. J’avais moi-même depuis longtemps un portefeuille qui se valorisait bien même si je n’y passais que peu de temps, investissant dans des petites valeurs solides et faiblement valorisées. L’envie m’est progressivement venue d’en faire mon métier. Avec un peu de bon sens, la lecture de rapports annuels et des communiqués de presse, on pouvait dénicher des opportunités, en particulier comme l’avait fait Peter Lynch à ses débuts, dans un univers de petites valeurs de croissance bien gérées sur des niches d’activité. C’était moins glorieux que de suivre un secteur important de la cote comme les banques dont j’étais un spécialiste, mais permettait de connaître de nombreux modèles d’entreprises. Celles-ci étaient souvent locales et plus simples que nos grandes banques aux cours très volatiles car toujours susceptibles d’être affectées par toutes les turpitudes de notre monde.

Je me suis lancé en 2003, à 43 ans, par passion, pas par ambition. Pour moi, c’était une forme de pré-retraite. Je me voyais comme un artisan de l’investissement, pas comme un entrepreneur. Le projet était modeste, je n’ai pas pris beaucoup de risques. J’aurais pu lancer un hedge fund à Londres spécialisé sur les valeurs financières comme cela aurait paru logique. Nous sommes plutôt rentrés à Paris : nous y possédions un appartement, l’éducation des enfants était gratuite, la location de bureaux y était beaucoup plus abordable.

Nous avons commencé à trois, Gilles Sion avec qui j’ai fondé Moneta, parti au bout de quelques années, et Edmée Jolibois, toujours présente. Gilles et moi gérions chacun notre fonds de manière indépendante et Edmée était en charge de l’administratif. Moneta c’était davantage un GIE de moyens qu’une vraie entreprise, avec trois personnes dans un bureau sous-loué et meublé chez Ikea

En traversant la Manche, je suis passé du statut d’analyste reconnu d’une grande banque internationale à celui de gérant débutant d’un fonds, à créer, de petites valeurs françaises dans une société de gestion inconnue. Les rares appels n’émanaient que de nos proches. Au moins, nous étions libres de notre emploi du temps.

Tant mieux, il fallait tout créer, ou presque !

Dix-huit ans après, je retiens quelques idées de cette phase de démarrage :

L’avantage d’un projet modeste. Le projet était très modeste. Mais après l’éclatement de la bulle internet et l’effondrement de la bourse en 2001 puis à nouveau en 2002, être modeste en 2003 dans la finance c’était bien naturel. Mon objectif n’était pas de faire fortune, je n’inventais pas une nouvelle martingale, je comptais juste vivre ma passion en investissant dans des sociétés cotées près de chez nous.

C’était à la fois simple et joyeux. Simple à faire, simple à expliquer, simple à comprendre et simple à vendre. Pas besoin de recherche et développement, de marketing sophistiqué, de stratégie digitale ni de force de vente internationale. Et joyeux puisque c’était une passion depuis longtemps, mon choix, une activité nouvelle et que je bénéficiais d’une très grande liberté pour faire les choses à ma façon.

Quelqu’un de modeste et passionné pour gérer un fonds de petites valeurs françaises à partir d’une petite société de gestion parisienne, c’était cohérent et rassurant pour tous les clients. Et travailler simplement et avec passion, c’est la meilleure recette pour faire de bons produits, dans notre métier aussi !

L’avantage d’avoir un œil neuf. Dans un métier qui existait depuis longtemps, beaucoup de choses étaient considérées comme « normales » :

Normal que certains documents soient peu lisibles ? J’ai pris beaucoup de temps pour rédiger la « fiche signalétique » (l’ancêtre de nos prospectus) de mon premier fonds de manière claire et explicite en tentant d’éliminer les phrases convenues. Il semblerait que souvent ces documents ne soient rédigés que par des juristes. Informer des clients qui vous confient leur épargne ne devrait pas être considéré que comme une contrainte ou un risque…

Normal de verser des commissions à des intermédiaires même s’ils ne font qu’exécuter les instructions de leurs clients ? Partant de rien lors de la création de Moneta, et connaissant personnellement tous nos nouveaux souscripteurs, il nous a été facile de faire la différence entre ceux qui commercialisaient effectivement nos fonds et ceux qui n’étaient que les dépositaires de nos clients. D’où de sérieuses économies sur ce poste qui absorbe parfois plus de la moitié des revenus des sociétés de gestion.

Normal de ne pas suivre les petites valeurs avec la même rigueur et discipline que les grandes ? Pour moi, il n’y a qu’une manière professionnelle de suivre une société cotée : comprendre son métier, ses forces et faiblesses, faire des prévisions de résultats et de structure financière, comparer nos attentes avec celles du consensus et les résultats publiés. Et se faire une idée par nous-mêmes de ce que vaut cette entreprise. Quelle que soit sa taille.

Les aléas de la démarche commerciale. Vous rencontrez des prospects que vous quittez enthousiastes, et ils ne donneront plus signe de vie. Des personnes que vous avez juste croisées dans une vie professionnelle antérieure, et ils répondront présents au premier appel. Nous n’avons jamais pu prévoir qui deviendraient nos clients ni quand ils le deviendraient. Mais quand vous démarrez de rien, tous les clients sont importants.

C’est resté ma conception aujourd’hui : nos clients particuliers ont le même accès à l’information que les institutionnels. Nos compte-rendus de gestion partent de ma propre boite mail et les questions, critiques ou applaudissements me parviennent en retour sans filtre ! Notre raison d’être est d’avoir des clients satisfaits.

L’importance de la notoriété de votre employeur. Vous êtes toujours le même, mais vous êtes perçu différemment  ! Testez-le vous-même : téléphonez à quelqu’un qui ne vous connait pas, l’accueil de sa secrétaire sera souvent différent en fonction de la société que vous représentez ! Je l’avais déjà constaté en passant de Cholet-Dupont à Paribas, puis à JP Morgan. Et aussi, dans le sens inverse, dans les premières années de Moneta. L’intérêt que vous portent certaines de vos relations semble parfois très lié à la notoriété de votre employeur… Il faut y être préparé !

Et enfin, l’impossibilité de vivre une préretraite quand vous êtes passionné ! L’artisan que j’envisageais de devenir est devenu chef d’entreprise car ce que nous faisions plaisait, et me plaisait.

Je me suis pris au jeu : je ne peux pas trouver une bonne idée d’investissement sans avoir été obsédé par le sujet. Je ne sais pas développer une société en n’y pensant qu’à temps partiel. Je n’arrive pas à répondre de manière brève à des questions de clients ou curieux sur notre gestion.

Bien sûr, je suis depuis de nombreuses années secondé par des collègues dynamiques et compétents : mais c’est un vrai temps plein que rester à la hauteur des attentes élevées de tous, nos clients en premier !

Romain BURNAND, Fondateur de Moneta